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Critique de Woland


Woland
29 décembre 2017
Etoiles Notabénistes : ******

The Highboy
Traduction : Céline Schwaller pour le recueil "Femmes et Fantômes" dont cette nouvelle est extraite

ISBN : inconnu pour la nouvelle mais 9782743600372 pour "Femmes et Fantômes"

Tous les genres ont payé leur tribut à la nouvelle, en particulier le fantastique et le policier - il existe, par exemple, plusieurs nouvelles dont le commissaire Maigret - pour ne citer que lui - est le héros. Alison Lurie semble, pour sa part, témoigner d'un faible accentué pour le fantastique. Et ses textes en la matière sont de véritable petits bijoux, à recommander à tous, surtout si l'on n'aime pas le "gore".

Prenez "La Commode" par exemple. du "gore", si à la mode à notre époque, Lurie en aurait pu tirer de pratiquement chaque tiroir - et Dieu sait si ce meuble grincheux et susceptible en a, des tiroirs ! En effet, cette commode flanquée d'un haut qui évoque, en plus grossier, un grand bicorne napoléonien, vient, par des chemins probablement bien sinueux et encore plus sombres, de Salem la Maudite, ville illustre pour une tragique histoire de jalousies féminines où le vent d'un puritanisme outrancier et soupçonneux alluma des bûchers sur lesquels périrent plus d'innocents que d'adorateurs de Satan. Imaginez donc un peu ce que pareille ascendance, certifiée conforme par un expert en plus, eût apporté à l'auteur en matière de "gore" ! ...

... Sanglant, hein ? Et moche, assurément parce que, pour faire du gore élégant et subtil, qui ne tache ni les tapis, ni les rideaux de douche, il faut vraiment être doué ou alors y aller carrément en trichant avec une habileté consommée, comme Maître Hitchcock dans "Psycho" ! ;o)

Pour en revenir à notre récit, disons tout de suite, parce qu'il nous semble que la chose a son importance, qu'il nous est raconté par la narratrice mais que celle-ci se contente de nous rapporter ce qu'elle entend elle-même dire sur la fameuse commode par son amie, Buffy Stockwell. On est en fait dans une sorte de couloir qui répercute des échos sinistres mais non dénués d'humour : Buffy bichonne et vit avec la commode dont elle a hérité et parle du meuble à son amie, Janet, laquelle semble avoir vu très rarement de près l'objet favori des conversations de Buffy.

Bien que riche, Buffy n'est pas ce que l'on pourrait appeler une lumière. Sa seule passion, ce sont les beaux meubles, la belle vaisselle, les antiquités parfois quand son budget, qui a tout de même certaines limites, le lui permet. Cette passion du Beau dans le Meuble et la Vaisselle est, pour ainsi dire, une obsession de famille. D'ailleurs, dans la génération précédente, la commode appartenait à la tante Betsy Stockwell, qui n'arrêtait pas de la lustrer et de la briquer avec l'application et le respect qu'un croyant authentique apporte à entretenir l'autel de ses ancêtres. Tante Betsy ressentait, semble-t-il, un véritable amour, à tout le moins une véritable fascination pour la commode au chapeau de gendarme. Elle en parlait comme elle l'eût fait d'un être humain. Ainsi, certains jours, quand il arrivait qu'un tiroir se bloquât ou s'ouvrît avec plus de difficultés, la vieille dame affirmait que la commode "boudait" parce qu'elle n'avait pas été suffisamment bien cirée, ou parce que quelqu'un ou quelque chose lui avait déplu ou l'avait "vexée."

Chez les amoureux de meubles anciens - après tout, la commode de tante Betsy avait certainement célébré ses deux siècles d'existence depuis longtemps - cette façon de parler est assez normale. Entre initiés d'ailleurs, cela ne choque pas. Pas plus que la façon dont les aficionados des livres parlent de leurs chers amis, sur leurs étagères ou dans leurs piles ou leurs cartons ... ;o) Mais Janet, notre narratrice, n'est pas précisément une amoureuse des vieux meubles. Elle et son mari préfèrent le moderne et ont une sainte horreur du Chippendale. Et puis, pour eux, un meuble n'est qu'un meuble.

Bien entendu, depuis le temps qu'elles se sont liées d'amitié, Janet s'est habituée à la manière qu'a Buffy de parler de ses meubles adorés. Et elle comprend fort bien sa déception lorsque, à l'ouverture du testament de tante Betsy, elle apprend que la commode si chère au coeur de son amie a été léguée à Jack, le frère de Buffy. Certes, comme s'essaie, de manière presque touchante, à se convaincre elle-même Buffy, Jack est désormais le chef de famille, le détenteur du nom ... Mais tout de même ... Elle eût tellement préféré recevoir la bien-aimée commode et non pas le service à thé Tiffany's, au demeurant magnifique, qui a été son lot ...

Dans cette nouvelle plutôt courte, les faits et gestes de la commode de défunte tante Betsy - qu'ils soient réels ou que lui prête tout simplement l'imagination des humains qui l'entourent - occupent pratiquement chaque page. Par l'intermédiaire fidèle mais parfois bien las qu'est Janet, on n'a pas de mal à se la représenter, toute pimpante malgré ses deux-cents ans, choyée et chouchoutée, dans le vaste salon de tante Betsy. Puis on songe, avec compassion, aux horreurs qu'elle a dû endurer lors de son emménagement chez Jack où, de toutes façons, elle ne se plaît pas du tout. C'est que l'épouse de Jack n'a aucun sens du ménage, encore moins de la manière de traiter une commode de cette valeur, de cette prestance, de cette beauté ...

C'est à ce moment-là de l'histoire que Janet entend pour la première fois parler des "bouderies" dont la morte taxait déjà son meuble favori et avec quel soin elle veillait à ne pas la "vexer." Et c'est aussi à partir de cette époque, où culminent les plaintes larmoyantes de Buffy, que Janet et son mari lui suggèrent avec bon sens de proposer à son frère l'échange du service à thé contre la commode. Après quelques pourparlers, la transaction s'effectue sans difficulté et le lecteur peut espérer que, mis à part quelques blocages de tiroirs intempestifs - après tout, la commode a deux-cents ans, tout de même ! - tout va redevenir comme avant, du vivant de tante Betsy.

Car nul ne s'entend comme Buffy pour veiller sur la chère vieille commode de la non moins chère tante Betsy ! Personne d'ailleurs ne se permettrait d'en douter. Pas même, en bonne logique, la principale intéressée, c'est-à-dire le cher vieux meuble lui-même !

Pourtant, lecteur, le dénouement est encore loin et nous procurera une chute aussi imméritée qu'inattendue pour la pauvre Buffy. Quant à savoir si tout ce qui s'est dit tout au long de ces pages sur un meuble que, de notre côté, nous entrevoyons à peine et toujours par le regard d'autrui, est exact ou non, nous vous laissons vous en faire votre idée personnelle. Tout ce que nous sommes à même de vous révéler, c'est que, à la dernière page, Janet la Sceptique, elle, n'a plus aucun doute ...

A la fois allègre et naturel, le style évoque, on ne sait trop pourquoi, les sautillements de l'une de ces musiques qui accompagnaient les films muets. Avec ces tremolos, qui nous font maintenant sourire bien plus qu'ils ne nous émeuvent, et qui ponctuaient les instants dramatiques, et cet humour pince-sans-rire qui soulignait le comique, parfois cruel, de certaines situations. L'auteur se délecte, visiblement, avec cette histoire dont la logique et la cohérence rehaussent, de manière paradoxale, les étrangetés qui servent de parures à cette authentique et mystérieuse diva qu'est la commode.

Ces curieux joyaux sont-ils réels ou ne sont-ils que purs fantasmes créés par les différents possesseurs du meuble, à vous, répétons-le, de le décider. Cependant, ne vous perdez pas trop longtemps dans leur contemplation : Salem ou pas, cette commode possède quelque chose d'hypnotique et de malveillant qui pourrait bien vous être fatal ... ;o)
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