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Critique de Plumeetencre




Après Lianke Yan, Yu Hua - deux magnifiques rencontres effectuées récemment, je poursuis ma découverte des grands noms de la littérature chinoise contemporaine. 

Écrivain dissident, censuré et interdit de séjour dans son pays, Ma  Jian signe avec Beijing coma (paru en 2008) un roman singulier, puissant, engagé, aussi ambitieux qu'abouti, ayant pour point d'ancrage - sans pour autant s'y réduire, les événements dramatiques qui ont mis fin au Printemps de Pékin. 

Ses quelques neuf cent pages ainsi que la teneur des propos relatés frôlant parfois l'insoutenable, en font une lecture à la fois exigeante et éprouvante mais ô combien enrichissante. C'est un ouvrage "coup de poing" propre à éveiller les consciences nous exhortant, à ne jamais oublier. 

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"Tu brûles de sortir de ton cocon. Ta bouche est une porte dont la serrure n'a pas de clé."

Grièvement blessé par balle, Dai Wei est plongé dans le coma depuis le 4 juin 1989. Il gît sur son lit, prisonnier d'un corps qui ne répond plus. Il ne peut bouger, toucher ni même voir mais entend, comprend, sans toutefois pouvoir interagir, dépourvu de tout moyen de communication. Alors que l'on s'affaire à son chevet placé sous haute surveillance, lui tente de se remémorer le déroulement des faits avant cette fin tragique, possiblement irrémédiable.

"Que m'est-il arrivé? Je nous vois, Tian Yi et moi, courir  main dans la main pour sauver nos vies. (...) Des tanks roulent vers nous. Il y a des incendies partout, et des hurlements…Et maintenant?"

La narration oscille perpétuellement entre deux temporalités - le présent et le passé. Elle s'écoule en un flot ininterrompu (aucun chapitre), incontrôlable, méandreux, charriant images, souvenirs et sensations dont il est vain d'espérer se détacher.

"Tandis que tu dérives inconsciemment vers la mort, tu tentes d'attraper les bribes de sentiments qui flottent, espérant en trouver un qui soit de quelque façon lié à toi."

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La trajectoire de vie de notre protagoniste se dévoile par fragments, épars et disparates. Son enfance, tout d'abord, aux côtés d'une mère communiste fervente et d'un père étiqueté droitiste qui a passé plus de vingt ans au sein de camps de rééducation. L'opprobre jeté sur sa famille. Les premiers émois sexuels et amoureux mais également la découverte (à ses dépens) des égarements du système judiciaire.

"La scène que tu viens de te rappeler sombre dans l'obscurité et est remplacée par une autre."

Ensuite, son adolescence - marquée par l'entrée à l'université et l'expérience fondatrice de la camaraderie. L'éveil de sa conscience politique, les idéaux poursuivis ainsi que son engagement auprès des voix contestataires.

"Nous étions une génération à l'esprit vide. Nous avions soif de savoir. Maintenant que la Chine s'était ouverte à l'Ouest, nous dévorions la moindre information qui nous parvenait. le pays venait d'émerger de la catastrophe de la Révolution culturelle, nous brûlions de le rebâtir. Nous étions exaltés à l'idée de cette mission qui nous attendait."

La majeure partie du récit est consacrée au mouvement de révolte estudiantine, depuis ses balbutiements jusqu'aux manifestations réprimées dans le sang de Tiananmen. Revendications, avancées - entre espoir et désillusion, organisation logistique, dissensions en interne, quotidien dans les dortoirs, grèves de la faim, sit-in, bras de fer avec le gouvernement, issue horrifiante … Nous sommes  face à une restitution  extrêmement minutieuse, précise,  ne nous épargnant aucun détail. À ce titre,  certaines longueurs sont à déplorer mais celles-ci n'auront pas affaibli mon intérêt global - reconnaissante d'avoir tant appris et sensible à ce qui m'est apparu comme un vibrant hommage rendu à cette jeunesse-courage.

"Tu te rappelles quand tu étais au centre de la Place et que le vent brûlant te soufflait au visage. La Place était comme la chambre où tu te trouves à présent : un espace chaud avec un coeur qui bat, piégé au milieu d'une ville froide."

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Foisonnant, éclairant, terriblement marquant, Beijing Coma balaye plusieurs décennies d'Histoire de la Chine Maoïste et post-Maoïste (du Grand bond en avant au second millénaire). Il met en lumière toute la violence, les aberrations,  les contradictions d'un régime autoritaire, répressif, meurtrier, étouffant toute forme d'opposition (réelle ou supposée) et régissant voire commercialisant jusqu'à la plus stricte intimité des individus.

Qu'il s'agisse d'évoquer la réforme agraire des  années 50, la Révolution Culturelle, la politique de l'enfant unique, le Printemps de Pékin (point central) ou encore le trafic d'organes et les dessous du système médical (non exhaustif), Ma Jian le fait avec un pouvoir d'évocation imparable. 

C'est un témoignage accablant que je referme sonnée, atterrée, profondément bouleversée : j'ai pris ce pavé en plein coeur. Il y aurait tant à dire, mes mots ne sont que modeste aperçu. le mieux est que vous le lisiez. Je peux vous l'assurer, il y aura un avant et un après quoique vous en pensiez…
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