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Critique de karineln


Marx et la poupée de Maryam Madjidi. (68 premières fois)
Je ressors de cette lecture avec un sentiment étrange que j'ai bien du mal à définir et à formuler. Ce livre se lit facilement, la lecture y est limpide. Il y a du léger dans les mots malgré la violence d'une insurrection, d'un peuple torturé et la douleur d'un exil. Un air de rien syntaxique propre à la poésie… Et de vouloir le garder près de moi pour chaque jour l'ouvrir et en lire une page, quel que soit l'ordre…La chronologie importe peu, ce sont les mots ciselés, en perles, que l'on goûte et que l'on savoure et ce même dans la dureté et l'âpreté qu'ils délivrent. Il y a du beau dans la tristesse, il y a de la grâce dans les pages, les premières qui parlent de cette mère absente à son enfant à naître…à son enfant vivant…
J'y retourne, feuillette, relis encore et encore pour que ces mots s'amarrent et pèsent, qu'ils prennent du poids et ne puissent plus s'échapper. Il y a du fantomatique dans ces lignes et comme les fantômes que l'auteur déterre de sa mémoire, les mots sont là sans y être. Ils sont élégants, forts, justes mais s'enfuient, se dérobent…
« Je déterre les morts en écrivant. C'est donc ça mon écriture ? le travail d'un fossoyeur à l'envers. (…) Je me promène sur une plaine vaste et silencieuse qui ressemble au cimetière des maudits et je déterre des souvenirs, des anecdotes, des histoires douloureuses ou poignantes ».
Quand j'ai refermé ce livre, cette sensation d'évanescence m'a envahie et je reste troublée par l'urgence et la nécessité de retourner à ces pages, d'entendre ma voix haute énoncer des passages pour qu'ils ne s'évaporent pas, ce qu'ils semblent faire cependant dès que je m'en éloigne de nouveau. Quel est donc ce sentiment ?
Bien plus qu'un récit sur l'exil, sur l'Iran, et même si l'histoire autobiographique en est le coeur et en a ordonné son écriture, cet ouvrage s'apparente peut-être moins pour moi à un roman qu'à un recueil de poésie, une longue poésie en prose pour résonner une vie, des vies, nos vies. Il y a de la pureté propre à l'enfance dans ces mots, dans la volonté de dire les choses avec une authenticité désarmante de simplicité…
Au-delà de son histoire unique, Maryam Madjidi écrit l'enfance (comme sa façon d'écrire sa mère) et elle l'incarne devant nos yeux. Elle nous livre dans une justesse d'orfèvre et une innocence intelligente le monde des grands perçu par l'enfant, avant que celui-ci devenu adulte ne s'encombre des vérités arrangées et détournées. Il y a de l'universel dans ces lignes. L'auteure, dans un tour de force magistral, ravive les maux, le coeur battant, la magie et le désarroi du jeune âge, quand le corps reçoit et saisit instantanément, instinctivement, ce qui se trame et se joue autour de lui ; et elle nous offre le précieux témoignage d'une langue qui nous rappelle, nous souvient une essence première, originelle.
« Alors il se passa quelque chose d'étrange : elle avala sa langue. Elle ferma les yeux et elle engloutit sa langue maternelle qui glissa au fond de son ventre, bien à l'abri, au fond d'elle, comme dans le coin le plus reculé d'une grotte ».
Les fables et métaphores qui égrainent le fil du récit sont percutantes et pertinentes pour nous parler l'arrachement à une terre, l'identité volante entre deux cultures, l'accueil maladroitement ambivalent et l'embarras à se fondre…La poésie est délicate, fine, expressive…La drôlerie drape avec pudeur la tristesse….Pourtant, il y a un pourtant qui s'immisce…Les mots s'envolent comme des ballons colorés dans le ciel azur, peut-être comme si l'exil se glissait entre eux dans les lignes, pour ne pas peser, ne pas compter, s'attacher, s'enraciner…
« Je tire les rideaux et je me demande ce qu'il y a à l'intérieur. Et puis d'abord c'est quoi « de l'intérieur »? Ca veut dire quoi ? Je me suis toujours méfiée de ce mot, « l'intérieur », parce que je l'associe à une illusion, quelque chose de fuyant que l'on poursuit en vain ».
Gageons que le talent indéniable de Maryam Madjidi déploie son écriture et n'ait crainte d'inscrire d'avantage la justesse de sa perception, de son regard et de semer en plus de belles fleurs des plants de jeunes arbres qui s'élèveront et porteront les guirlandes de ces mots.
« Je suis une guirlande de mots accrochée à un arbre qu'un enfant montre du doigt ».

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