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Critique de SophieLesBasBleus


Un patchwork... Oui. Un somptueux patchwork, c'est la première image qui me reste en mémoire après la lecture du premier roman de Maryam Madjidi. Roman ? Pas roman ? Quelle importance ? Pour moi, "Marx et la poupée" plonge ses racines dans l'origine du mot "texte" : une "chose tissée, tramée" et l'image du patchwork ou de la tapisserie prend alors une puissance inouïe. Souvenirs, courtes fables, contes, portraits, poèmes... s'esquissent, se déploient et appellent d'autres images, tissées entre elles par les fils dorés des langues. La langue originelle, le persan, et celle de l'exil, ce français né d'un silence où s'engloutissent l'enfance et les liens familiaux, procèdent par vagues douces et violentes, se superposant parfois, luttant souvent, et se juxtaposant enfin en épaisseurs fertiles. C'est si beau que l'envie m'a prise de lire à haute voix, de faire résonner haut et clair ces strates de chagrin, de peur, de nostalgie et de déracinement.
Déracinée. Il y a dans ce mot toute la violence de l'arrachement à tout ce qui a nourri et fait croître, à la tendresse d'une grand-mère et à la complicité avec un oncle. Il y a la maison qu'on abandonne à jamais, les jouets que l'on est contraint de donner, la sensation de tomber inexorablement au creux d'un cauchemar où l'inconnu ne peut être que funeste. L'exil est cet arrachement brutal à un lieu, à des proches aimés, à une langue, à une mémoire commune. Maryam Madjidi exprime toute la douleur qui en résulte pour une petite fille de 6 ans. Avec un humour tendre, qui voile de pudeur cette souffrance brûlante, qui la met à distance pour évacuer toute possibilité de pathos, elle raconte ces moments à la fois dévastateurs et fondateurs. Car les racines mises à nu le temps du déchirement sont artificiellement implantées dans un autre terreau, pas forcément accueillant, un terreau étranger où l'étrange est d'être persan.
On l'oublie bien trop souvent mais une langue ce n'est pas seulement un vocabulaire qu'il suffit d'apprendre et de référer aux choses réelles, ce n'est pas seulement une syntaxe et une conjugaison. Une langue c'est aussi (surtout ?) le vecteur d'une culture et d'un imaginaire collectifs, formés d'images mentales, de catégories intellectuelles, psychologiques et affectives, d'une connivence entre mode de vie et constructions langagières. Comment le vécu antérieur d'un enfant, d'un adulte peut-il assimiler et accommoder cet ensemble qui ne paraît cohérent qu'à ceux dont les générations successives en ont fait la langue maternelle ? Faut-il que ce soit forcément au prix de l'oubli, de la relégation de tout ce qui fait une vie commencée ailleurs ? S'intégrer à une culture, dans une société, est-il forcément le corollaire de désintégrer la culture d'origine ? le roman de Maryam Madjidi soulève avec une force bouleversante chacune de ces questions-pièges, de ces questions-pierres en les plaçant au niveau de l'enfant blessée qu'elle fut probablement et de l'adulte recomposée qu'elle est sans doute.
Oui un patchwork coloré, chatoyant, qui tisse étroitement langues, cultures, espoirs, émotions, rêves et chants. Une étoffe fabuleuse qui épouse les pleins et les déliés d'une vie trois fois naissante. Un roman magnifique qu'il faut lire et relire et relire encore jusqu'à s'en imprégner pour le porter toujours.
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