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Critique de michfred


Mon premier Marcus Malte, et aussi le plus abouti des quatre que je viens de lire quasiment à la suite ! Last but not least : je me suis gardé sa chronique pour la bonne bouche - prix Femina oblige !

Un joyau, une pépite, un trésor…comment faut-il vous le dire ?

Une vraie réussite que ce Garçon-là, et qui, tout sauvage qu'il soit, vous en apprend plus que le plus savant, le plus distingué des intellectuels sur la civilisation et la compagnie des hommes.

Dans une langue magnifique, pleine de trouvailles qui ne sont jamais des trucs, des afféteries stylistiques à la Gaudé, par exemple, - vraiment je lui en veux de ces « Défaites » tarabiscotées et surlignées à l'envi !-, Marcus Malte nous emporte de l'orée de la première guerre à celle de la seconde, sur les traces de son héros, un vrai « enfant sauvage », tôt orphelin, muet, jeté sans ménagement dans le vaste monde, incapable de verbaliser ou de conceptualiser ses émotions, vivant tout au ras de ses sensations, de ses affections et de son corps.

Tandis que défile le siècle - avec ses menus événements, ses tragiques erreurs, ses héros scientifiques, ses têtes couronnées et ses généraux homicides, ses si jeunes morts anonymes - passent aussi les étapes d'une initiation. Celle du Garçon.

D'abord, la socialisation- mais la petite société campagnarde qui l'adopte, l'exploite et le chasse à la première catastrophe, selon la tradition séculaire du bouc émissaire.

Puis la filiation : un « monstre » au grand coeur donne à ce jeune monstre sans voix sa force, son savoir-faire et sa parole, épique et chaleureuse, pour enchanter un monde jusqu'alors sans tendresse et sans mots. Mais les filiations sont des passations, et toute affection porte en elle son apogée et sa fin.

Puis l'amour - quel amour ! Sensuel, libre, nourri d'expérimentation hardie et de culture sulfureuse, grand braveur d'interdits, grand inventeur de voluptés. L'amour seul donne leur nom aux choses ; le garçon reçoit de lui un prénom : Félix. L'heureux. Pas pour longtemps.

Car voici la guerre, celle de 14, qui est vraiment le baptême du feu.
Épreuve maudite, qui transforme l'or en fer, et le fer en plomb, comme dans les vieilles mythologies.

Le Garçon y découvre la mort et le sombre plaisir de tuer. Protégé, comme par un talisman, par le nom de famille, mythique et musical, que lui a trouvé son Emma, - « Mazeppa »- , il échappe à la mort, garde la vie, mais perd son innocence, son goût du plaisir et, bientôt, parce que souffle un vent mauvais, Emma, son amour.

Il accède enfin à l'ultime étape, la cinquième : celle de la déréliction, celle de l'errance. Il accède alors à une vie machinale, qui ressemble à celle d'où il est sorti. Une vie privée de sens, une vie surréaliste, une juxtaposition de faits, de lieux, d'images.

Sans le code de l'amour ni celui de l'amitié pour lui donner une signification. Paradise Lost.

Les étapes de cette initiation sont entrecoupées de « listes » -variées, amusantes, ironiques ou atroces- qui renvoient aux événements du siècle et éclairent, de leur lumière historique et universelle, le récit de cette existence particulière et symbolique.

Je me suis forcée à ralentir le rythme de ma lecture pour savourer la force des images, la magie du style, les trouvailles multiples,- ah, l'extraordinaire suite de bribes et variations sur les paroles de la Marseillaise !- pour goûter pleinement le sel de ce récit à la fois linéaire et lyrique qui est un peu l'épopée de l'humanité tout entière.

Un autre petit plaisir secret que je livre, pour les amateurs: j'ai reconnu, au passage, dans ce caporal à la main coupée qui prend le Garçon en amitié, Blaise Cendrars, le baroudeur humaniste, poète auteur de « La Guerre au Luxembourg » , et j'ai vu dans l'errance finale du Garçon au coeur de la jungle amazonienne celle de l'avatar de Moravagine, ce héros dont le caporal Cendrars, peut-être, entrevoit la genèse, en regardant le Garçon : « -Tu me rappelles quelqu'un, Mazeppa, lui dit-il un autre jour. Un type qui n'existe pas. Il n'est pas encore né. Pour le moment il est ici (posant un doigt sur son front). Il pousse. Il grandit. Il se nourrit de tout ça, toute cette dégueulasserie. Il engrange. ..Mais faudra bien que j'accouche un de ces quatre. Ce qu'il y a, c'est que ça risque d'être un type terrible. Un bon Dieu de sale type! le pire des rejetons... Qu'est-ce que je peux y faire? Les chiens ne font pas des chats. »

J'aime avoir rencontré dans ces pages solaires et sanglantes Blaise Cendrars, l'auteur du plus féroce écrit contre la boucherie de 14-18 que j'aie lu : « J'ai tué ».

J'aime imaginer que le Garçon perdu par la guerre est devenu ce fou de Moravagine.

Rencontrer Cendrars et un de ses héros les plus marquants dans un roman du XXIè siècle est bien le signe que, chez Marcus Malte, on est en bonne compagnie…

(A Gruz, avec reconnaissance!)





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