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Critique de Kirzy


Kirzy
13 septembre 2021
Rentrée littéraire 2021 #21

« Longez nos murs et lisez, taguées, des phrases du genre : Maudit soit celui qui pisse ici, maudits les parents de celui qui dépose ses poubelles ici. Non, ça ne marche pas, au contraire, elles aiguisent notre appétit de mal faire, affûtent notre défiance, on lève même plus haut la bite pour arroser au mieux ces injonctions désespérées. Aucun mur ne nous effraie, aucune inscription. On ne craint aucune malédiction car la malédiction c'est nous, car c'est celui même qui écrit cela sur son mur qui pisse sur celui du voisin, c'est celui même qui écrit sur son mur qui jette sa merde contre le mur de son voisin. »

Avoir 15 ans à Tunis et ne rien regretter. Avoir des idéaux, ne pas avoir basculé dans les compromis et les compromissions. L'ado de Bel abîme a commis plusieurs crimes par amour. Il n'a pas de prénom. Juste un ado qui représente toute cette jeunesse tunisienne brimée qui s'est soulevée en janvier dernier, à qui la révolution n'a pas apporté l'avenir attendu. Cette jeunesse qui subit la violence des adultes qui n'ont pas tiré les conclusions des années de despotisme sous Ben Ali dans un pays où continuent à s'épanouir phallocratie, corruption, clientélisme, autoritarisme.

Lui crie sa rage dans un monologue ravageur adressé à son avocat ( commis d'office ) et à un expert psychiatrique alors qu'il est en prison. Avec son écriture incisive au cordeau, sans jamais un mot de trop, Yamen Manai nous immerge totalement dans la fièvre de son ras-le-bol spontané. Son texte est habité de sa fougue, dans son parler vrai, sans filtre ni concession, cru, grossier même, seulement animé par le sentiment de justice plus que de vengeance. On sent son urgence à vouloir du concret, à ne plus croire aux discours creux des adultes. Et avec un humour noir dévastateur.

Sa révolte dresse en creux le portrait d'une Tunisie à la dérive et la dénonciation de tout un système pourri. Pas un hasard si le seul personnage du roman prénommé est le chien. Une paria comme le héros, les chiens étant considérés dans la religion musulmane comme impurs. C'est auprès d'elle que le jeune, après l'avoir recueilli, trouve réconfort, amour et sens à sa vie. Un chien comme vecteur d'une renaissance et d'un salut, encore une façon pour l'auteur de dézinguer les travers d'une société, en mode iconoclaste.

Et puis, il y a ce titre, superbe oxymore qui semble désigner directement cette Tunisie où échouent tous les espoirs d'une jeunesse acculée dans une impasse. Cette fable contemporaine résonne tristement avec l'actualité de ces dernières semaines, depuis que le coup de force du président Kaïs Saïed a gelé en août dernier le Parlement pour s'approprier de facto les pleins pouvoirs.

Un roman comme un terrible uppercut, sans répit.
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