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Critique de Ellane92


Augustin Gora est un réfugié politique de la Roumanie communiste qui vit à présent à New York. Intellectuel reconnu, il passe son temps à rédiger les nécrologies de ses contemporains, bien entendu que tout vivant est un mort en sursis. En s'exilant, il a laissé derrière lui ses amis, les conversations d'intellectuels chuchotées au clair de lune, et la belle Ludmilla, sa femme, son amour, qui a refusé de partir avec lui, mais qui viendra pourtant à New York en compagnie de Peter Gaspar, son cousin et amant. Peter Gaspar lui aussi est un intellectuel, il donne des cours à l'université. Il appelle souvent Gora, entretient avec lui des conversations surréalistes grâce auxquelles il se parle à lui-même : "Il interrogeait, tout en s'interrogeant. Il n'attendait pas de réponse, mais l'interrogé faisait partie de l'interrogation. Culpabilisation indirecte". Parfois même, Gora lui répond. Un jour, Gaspar reçoit une carte postale, en lien avec Dima, grande figure mondialement connue, adulé par la Roumanie. Sans doute une menace. Gora, bien avant Gaspar, craint pour sa vie. Car Gaspar et Gora connaissent le passé controversé mais caché de cet homme, Dima, et ses sympathies avec l'extrême droite. Est-ce ce secret que l'on veut faire taire en même temps que Gaspar ?

Il n'est pas évident de faire un synoptique de cette Tanière de Norman Manea.
La tanière, cet endroit à partir duquel Gora écrit ses notices nécrologiques sur les futurs morts, est une oeuvre étrange et labyrinthique. Certaines scènes se répètent plusieurs fois, pour s'inclure dans des contextes différents (notamment la première scène dans laquelle Gaspar monte dans un taxi… j'ai même cru à une erreur d'impression), on ne sait de qui sont les pensées qu'on lit, ni qui parle dans les dialogues, ni à quelle époque ça se passe, encore moins dans quels lieux… Certaines phrases sont belles et poétiques. D'autres passages sont une association de mots, séparés par des points. L'auteur joue avec le son et le sens des mots (avec talent, il faut le reconnaitre). Bref, je suis restée un certain temps assez sceptique devant cette lecture qui me paraissait nombriliste, élitiste et égocentrique.
Mais au bout d'un moment, d'un certain nombre de pages, de passages, de paysages, de personnages, je me suis laissé prendre au jeu. Norman Manea trempe une plume, de celles qui écorchent le papier sur lequel elles écrivent, dans l'acide, pour nous dépeindre deux hommes qui se veulent si différents (sans compter Pallade et Dima) même s'ils aiment la même femme, pour dépeindre deux sociétés si opposées. Si la Roumanie n'est pas un ersatz du paradis, la vie n'est pas forcément plus verte de l'autre côté de l'Atlantique, au pays des capitalistes et des cartes d'assuré social. Des réflexions sur l'amour, l'exil, la société, le socialisme et le capitalisme, surgissent des conversations, des pensées, des conversations. Où qu'ils aillent, ces deux hommes portent leur passé avec eux, que ce soit Gora, qui s'enferme dans sa tanière au pays de la liberté, ou Gaspar, "sorti du ventre ensemencé d'Auschwitz", gros et gras comme un éléphant, qui souhaite être irresponsable.
Même si beaucoup de choses m'ont échappées, probablement par manque de connaissance de l'histoire et des grandes figures de la Roumanie, j'ai beaucoup aimé l'immersion proposée par ce livre qui fait penser au mouvement surréaliste, aux représentations de Dali en particulier (d'ailleurs l'auteur évoque à plusieurs reprises les cauchemars de Gaspar qui se prend pour l'un des éléphants du tableau éponyme de Dali). Mais j'ai fini par me perdre au lendemain du 11 septembre, dans la dernière partie du livre. A ce moment-là, Gora sort de ses lamentations sur la vieillesse, la maladie et l'exil, et l'attentat marque son retour à la vie. Enfin, si j'ai bien compris, et ça, ce n'est pas sur !!
Je garderai en tout cas de cette lecture exigeante un bon souvenir, un livre dans lequel on s'immerge avec plaisir, sans pour autant être jamais sur du moment et de l'endroit où l'on pourra reprendre sa respiration !
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