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Critique de Antyryia



J'ai deux cicatrices.
La première est anodine, elle se situe sur mon poignet droit suite à une intervention chirurgicale.
La seconde en revanche, même si je ne m'en souviens plus, est le souvenir d'un acte héroïque. En effet, si mon menton est orné d'une balafre depuis ma petite enfance, c'était lors d'un acte où ma prouesse n'avait d'égale que mon courage.
J'étais âgé d'environ quatre ans. Mes grands-parents me gardaient, quand soudain ...
Le téléphone a sonné !
Je me suis alors mis à courir pour décrocher avant tout le monde.
Dans ma précipitation, j'ai apparemment malencontreusement oublié que j'étais sur une table.
Les lois de la gravité étant ce qu'elles sont, j'ai dégringolé par terre. Je serais bien incapable de vous dire si ma petite frimousse, encore adorable à l'époque, a heurté l'angle du meuble ou si elle a simplement rencontré le sol d'un peu trop près, en tout cas le sang se serait mis à jaillir à flots.
Et moi à pleurer à chaudes larmes.
Complètement affolée, ma grand-mère a prévenu les urgences. Il paraîtrait que j'ai interrompu mes pleurs et lui ai dit de ne pas s'en faire, que ce n'était pas grave.
Quelques points de suture plus tard, j'étais guéri.
Quarante ans plus tard ou presque, l'entaille est quant à elle toujours bien visible.
Indélébile.

Antoine Revin, le principal personnage de Retour à la nuit, a lui aussi quelques cicatrices.
Sur son ventre et son dos, les boursouflures se croisent comme si quelqu'un avait joué au morpion sur son corps avec un cutter. Ou même à puissance quatre.
"Il y en a d'autres encore, différentes ; certaines sont des ramifications secondaires et d'autres se chevauchent."
Ces marques sont les souvenirs d'un terrible accident, lorsqu'il est tombé dans la Vézère.
"Je suis tombé dans une rivière en crue, je me suis fracassé contre des arbres, des rochers, j'avais huit ans."
Mais si aujourd'hui encore Antoine fait des cauchemars suite à cet accident, c'est aussi à cause de cet homme qui l'a peut-être secouru. Un être inquiétant qui aurait procédé aux premiers soins en continuant à graver des fresques sur son jeune corps avant de l'amener à l'hôpital.
S'agissait-il d'un sadique de la pire espèce ou cet individu terrifiant lui a-t-il réellement sauvé la vie ?
"Je sens mes cicatrices. Je les sens toutes. Elles se ravivent."

Un quart de siècle plus tard, Antoine est devenu veilleur de nuit dans un foyer qui s'occupe d'enfants en difficulté. Des gosses de tous âges aux graves difficultés sociales ou judiciaires. Auprès desquels il s'implique au-delà de ce qu'exige sa fonction, en particulier auprès de la jeune Ouria Ben Ouali, anorexique - boulimique à l'existence on ne peut plus tragique.
C'est un métier qui lui convient particulièrement bien, peut-être grâce à ses horaires nocturnes, ou parce que le foyer est particulièrement isolé en pleine forêt.
"J'ai besoin de ces longues heures de silence. J'ai besoin de la nuit."

Et puis le passé va s'inviter au détour de l'émission "Faîtes entrer l'accusé" qui revient sur un ignoble assassinat commis en 1982, un mois tout juste avant la chute d'Antoine dans la rivière et sa confrontation avec l'homme que la police soupçonne d'être "le Découpeur", un tueur en série aux multiples victimes qui a échappé à la justice.
"A ce jour, nous en comptons treize, assassinées et la peau découpée."
Est-ce un innocent qui est enfermé pour ce meurtre violent ? Antoine peut-il aider avec son témoignage à le faire libérer et permettre à la police d'appréhender un dangereux criminel ?

Ni tout à fait thriller, polar ou roman fantastique, Eric Maneval qualifie Retour à la nuit de roman d'angoisse, et c'est en effet le genre qui définit le mieux cette étrange histoire, où la tension présente dès les premières lignes ne fait que prendre de l'ampleur au fil des 120 pages qui composent le roman.
L'auteur parvient à distiller par petites touches exponentielles un climat de plus en plus oppressant.
L'inquiétude croissante provient des comportements de différents enfants : agressivité, cauchemars, troubles psychiatriques, attitudes ambiguës.
Mais aussi de légères touches surnaturelles, si du moins on considère comme telles les médiums ou les transes hypnotiques.
On a l'impression que la folie guette différents personnages, que l'ombre d'un violeur et tueur d'enfants plane, que chacun a son secret profondément enfoui.
Que la nuit s'empare doucement du récit pour le rendre de plus en plus ténébreux.
Eric Maneval confirme ici le talent de conteur que je lui avais découvert avec son roman Inflammation, un style simple et pourtant inimitable, une écriture minimaliste au sens noble du terme.

Alors qu'est-ce qui n'a pas fonctionné ?
Les dernières pages.
Je savais que la fin serait ouverte mais là j'ai davantage eu l'impression d'être abandonné en plein roman avec une petite voix qui me dit :
- Ben maintenant, tu te démerdes avec ça.
Certains aspects de l'histoire trouvent bien une conclusion, qui plus est originale, mais pour la grande majorité des intrigues, même en faisant fonctionner mon imagination, je n'ai aucune certitude ou même aucune idée de ce qu'il faut en conclure.
Ai-je été trop inattentif à certains détails ? Est-ce que je n'ai pas l'intellect nécessaire pour rassembler les pièces du puzzle ? Est-ce que je n'ai pas compris dans quelle mesure Eric Maneval tenait à laisser son lecteur dans le doute ?
Quelle que soit l'explication, j'ai terminé le livre avec un goût amer d'inachevé, et je ne suis pourtant pas un lecteur réticent aux fins ouvertes.

Considéré par de nombreux lecteurs de romans noirs comme un chef d'oeuvre du genre, mon incontestable plaisir de lecture a donc été divisé par deux lors d'une conclusion beaucoup trop floue et abrupte.

En guise de cicatrice, c'est celle de la déception qu'aura gravée ce roman dans mon esprit peut-être trop cartésien.


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