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Critique de jullius


Malaise…S. Bien sûr parce qu'il est difficile de rester de marbre devant ce portrait. Mais malaise aussi parce que j'ai senti que ce type de biographie avait tout du piège. Il n'est pourtant pas difficile de convaincre, avec un tel « sujet ». Et il n'est évidemment pas question de défendre un point de vue opposé ; certains le font (je pense à Ludo Martins, mais il n'est pas très convainquant à mon sens). D'autres, bien plus intelligemment, en revanche, des historiens, solides, remettent en cause, depuis plusieurs années déjà, la vision classique que Jean-Jacques Marie incarne ici dans cette biographie qui ressemble à un inventaire à la Prévert d'atrocités, d'abord, mais aussi, ce qui est tout de même bien plus surprenant pour un historien qui jouit d'une certaine renommé, d'astuces qui permettent de noircir encore un tableau (en faisant parler souvent Staline ou en tirant des conclusions non étayées par des sources ; selon ce qu'on appelle en sociologie une forme d'étiquetage : si Staline a commis ces méfaits, alors, dans les cas où on n'a pas de réponse, on peut supposer que c'est aussi lui – bref tout ce qui relève du crime vient de lui). Enfin. Parce que pour un historien qui est clairement ancré à « gauche » (très lié au PC puis au parti des travailleurs), les jugements de classe et les remarques condescendantes pour la « brutalité » ou « l'ignorance crasse » qui serait inévitablement celle des petites gens : de certaines professions ou de certains groupes ethniques donne une tonalité franchement révoltant.
Mais il y a plus ennuyeux encore : toute une historiographie, sérieuse elle aussi, très sérieuse même, travaille, réellement elle aussi, sur les archives (que Marie prétend connaître mais qu'il me semble interprèter beaucoup au gré de ses lectures et de son anti stalinisme d'ancien trotskiste). Pour le dire rapidement et à travers quelques exemples symptomatiques :
- Sur la famine en Ukraine par exemple, qu'il accorde sans contestation possible à un plan machiavélique de Staline, le travaux très renseignés de Mark Tauger, de l'University of West Virginia, anéantissent complètement cette thèse dont on sait par ailleurs qu'elle a été proposée, en premier chef par les nazis et fortement propagée par les groupes néo-nazis ukrainiens après la seconde guerre mondiale (comme le montre cette fois Doug Tottle) ;
- Sur les procès de Moscou, l'historien russe Youri Zhoukov sans faire l'analyse détaillée des activités subversives contre le Gouvernement Soviétique dans les années 1930, montre dans son livre que la lutte du secrétaire du Comité exécutif central de l'URSS A. Yenukidze contre J. Staline l'a finalement conduit à organiser un complot pour renverser le gouvernement soviétique. Parmi les participants à ce complot se trouvait le Commissaire du Peuple pour les Affaires internes (le chef de l'URSS NKVD) N. Yagoda. de même, tandis que selon Khrouchtchev Staline avec ses collègues du Politburo (V. Molotov, K. Voroshilov, L. Kaganovich) étaient les ennemis jurés des procédures démocratiques, Youri Zhoukov offre une image fort différente : Staline a bien proposé un programme de démocratisation de la vie soviétique (Molotov, Voroshilov et Kaganovich soutenant complètement Staline dans cette initiative) ; à l'inverse Yenukidze et beaucoup d'autres fonctionnaires du Parti ont été fortement opposés aux réformes démocratiques de Staline ;
- Sur la « Grande Terreur » des années 1937 et 1938, Grover Furr, archives à l'appui, démontre l'autonomie de Iejov, au point qu'il a agi contre les intentions de Staline pendant plus d'une année ;
- Sur la paranoïa de Staline, notamment contre Trotski, il est désormais là aussi possible de consulter des archives, et précisément celles de Trotski, qui démontrent que son intention était bien réellement de renverser Staline et qu'il fomentait, avec d'autres, sa mise à mort ;
- Sur le pacte germano-soviétique, pour lequel Marie laisse largement entendre qu'il est aussi (surtout ?) le résultat, dès le départ, d'une volonté d'alliance de Staline avec Hitler, cette thèse de l'alliance objective des totalitarismes et complètement battue en brèche par Geoffrey Roberts dans Les guerres de Staline (force démonstration à l'appui et non de simples assertions et petites phrases) ;
- Sur le massacre de Katyne, dont là encore J-J Marie se fait l'échos des thèses courantes sans l'ombre d'un recule, les travaux de Grover Furr, encore, ont détruit le sérieux de cette version du crime par l'Armée rouge de milliers de polonais au printemps 1940 ;
- Sur le crétinisme de Staline et son manque complet de bon sens stratégique pendant la seconde guerre mondiale, le livre de Geoffrey Roberts est un camouflet à la pensée dominante sur le sujet. de même, Domenico Losurdo dans son livre sur la Légende noire de Staline évoque nombre d'éléments qui montrent que Staline était loin d'être un idiot sur ces questions et, mieux, fut reconnu par nombre de militaires, y compris étrangers, et d'historiens de toutes nations, comme un vrai stratège.
- Sur le rapport Krhouchtev, Grover Furr, toujours (qui s'est donné une mission, semble-t-il de démontrer le caractère de propagande d'une historiographie dominante) démontre que strictement aucun des points qui le compose ne peut être pris pour une vérité.

Mon propos n'est pas de réhabiliter Staline, loin s'en faut. Mais bien de dire que cette biographie, à quelques exceptions près (le nombre de morts dans les goulags par exemple), s'inscrit pleinement, conforte et renforce une vision très manichéenne du personnage, et de la vie en URSS digne de cette escroquerie écrite sous la direction de Courtois : le livre noir du communisme. Bref, c'est un bon bourrage de crâne, dont on ressort essoré vu la litanie de crimes et procès d'intentions faits à Staline (si on en retient 10% on peut s'estimer heureux), mais sûrement pas une bonne biographie.
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