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Critique de viou1108_aka_voyagesaufildespages


« Nous ne savons plus où finit l'Etat et où commence le crime, et vice-versa ».

Bienvenue au Mexique, bienvenue en enfer.
Ce livre n'est ni un thriller, ni un roman noir, ce n'est même pas une fiction, c'est la réalité. C'en est d'autant plus effrayant. Cette réalité, c'est celle des milliers de cas de « disparitions forcées » survenues principalement depuis l'arrivée au pouvoir du président Felipe Calderon en 2006. Des anonymes comme vous et moi, hommes, femmes, des étudiants, parfois des migrants qui transitent par le Mexique pour tenter d'atteindre les Etats-Unis, ou des militants d'associations qui réclament justice pour les disparus, ou des parents qui ont le mauvais goût de s'entêter à demander aux autorités de retrouver leurs enfants. Bref, des innocents qui se sont trouvés au mauvais endroit au mauvais moment. « Comme si se trouver dans une rue ou sur une place était une raison suffisante pour effacer une personne de la surface de la terre », ils sont enlevés par on-ne-sait-pas-trop-qui (la police ou le crime organisé, l'une travaillant pour l'autre, ou l'inverse), pour on-ne-sait-pas-trop-quelle raison (rançon, menace pour le système criminel, arbitraire?), et on ne les retrouve (quand on les retrouve) que très rarement en vie. Une disparition est le début d'un cauchemar éveillé pour la famille, rongée par l'angoisse et la peur. Au supplice psychologique de l'incertitude et à l'impossibilité du deuil, il faut ajouter l'incurie des autorités (opaques, menteuses, voire coupables, jamais bienveillantes), qui l'oblige à mener elle-même son enquête, et un ignoble phénomène de « criminalisation des victimes » savamment entretenu (« si untel a disparu, c'est forcément parce qu'il a quelque chose à voir avec le crime organisé »).
Mais pourquoi une telle « passivité » de la part des autorités ? Descendons encore d'un degré dans les bas-fonds de l'inadmissible, pour arriver à la thèse qui sous-titre le livre : « la disparition forcée au Mexique comme stratégie de terreur ». 27 000 disparitions en moins de dix ans, ça vous mine le moral d'un pays. Si en plus on réalise que le critère qui préside à ces enlèvements est purement et simplement le hasard, il en découle un sentiment de terreur, paralysant : « sous l'empire de la terreur, on fait tout ce qu'on ne devrait pas faire et on permet ainsi la progression du processus de guerre et d'enfermement. La phrase qu'on entend le plus au Mexique aujourd'hui est : "Je ne peux plus sortir de chez moi". Alors on libère la rue, le territoire du délit pour les délinquants et ceux qui contrôlent le territoire peuvent agir en toute impunité ». « Dégager » le terrain de ses habitants qui pourraient se révolter, en particulier dans les zones riches en ressources naturelles (gaz, pétrole, métaux), avec la collaboration à peine voilée du crime organisé, pour le livrer ensuite aux multinationales contre espèces sonnantes et trébuchantes, voilà l'objectif ultime qui gouvernerait l'action « politique » de l'Etat mexicain ces dernières années.

Pendant cinq ans, F. Mastrogiovanni a mené investigations glaçantes et entretiens touchants, dans lesquels la peur le dispute à la révolte. Très documentée et étayée, son enquête révèle les agissements éhontés d'un Etat voyou, en pleine déliquescence, qu'il compare à l'Allemagne nazie. Très loin des plages paradisiaques de Cancun et Acapulco, ce Mexique-là est nauséabond.

Un grand merci à Masse Critique de Babelio et aux éditions Métailié (en particulier à Camille pour le petit mot et le marque-page :-) )

Lien : https://voyagesaufildespages..
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