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Critique de Sofiert


Merci à Masse critique et aux éditions Gallimard pour l'envoi de ce roman.
Il commence par la fin. A Londres ,deux amis se séparent, peut-être pour toujours. Hosam part vivre en Californie, et son ami Khaled, le narrateur, retourne vers son appartement de Shepherd's Bush, réfléchissant et se souvenant du passé tout au long de sa déambulation dans les rues de la ville.

Khaled a quitté la Lybie à dix-neuf ans pour aller étudier la littérature dans une université écossaise, après avoir entendu une nouvelle d'Hosam Zowa diffusée à la radio.
Cette lecture aura un double impact sur la construction identitaire de Khaled : elle nourrit sa passion pour les livres et crée également les conditions pour une amitié à venir sous le signe de la littérature comme résistance à la dictature.
" Ils se feraient un plaisir de fournir des détails qui, rétrospectivement, prédisaient l'évènement : notre goût de la lecture, le fait que nous soyons du côté des livres, qu'on nous voie constamment nous promener avec eux, que même le week-end on nous aperçoive en train de lire dans les cafés et que nous ne sortions jamais le soir sans un mince opus glissé, comme une arme, au fond d'une poche. "

Le coeur du roman est un événement tragique qui a réellement eu lieu à Londres en 1984 pendant une manifestation contre Kadhafi. Des tirs provenant de l'intérieur de l'ambassade avaient alors tué un policier et blessé de nombreux manifestants.
Dans la fiction, Khaled fait partie des victimes, il est grièvement blessé au poumon et comprend qu'il ne pourra plus retourner en Libye tant que Kadhafi sera au pouvoir. Il ne peut même pas prévenir ses parents car les communications sont surveillées et pourraient mettre leurs vies en danger.
Fils d'un opposant disparu dans les geôles de Kadhafi dans les années 1990, Hisham Matar connaît les risques encourus lorsque l'on défie un dictateur.

Le titre au pluriel permet de présumer que Khaled a au moins deux amis, le déterminant possessif, dans sa simplicité, établit un rapport de proximité mais aussi de bien-être . Hosam sera le dernier à entrer dans sa vie. Mais d'autres rencontres ont joué un rôle très important et offrent une représentation différente de l'amitié.
Le professeur Walbrook interprète le rôle du mentor, tant sur le plan intellectuel que sur le plan financier, tout en incarnant une figure paternelle. Ensemble ils arpentent les rues de la ville sur les traces des écrivains célèbres et c'est ainsi qu'ils apprivoisent la capitale.
Son amitié avec Rana, une étudiante en architecture, est subtilement genrée dans la mesure où il ne craint pas de lui montrer un attachement émotionnel et affectif, en dehors de toute attirance sexuelle. Leur complicité se révélera des plus solides lorsqu'il se tiendra à ses côtés pour affronter la maladie.

Mustafa, un lybien rencontré à l'université, est un ami fidèle auprès duquel "assis en silence près de lui, il me semblait savoir exactement ce qu'il ressentait ; je ne parle pas seulement de ses opinions, mais des profondeurs de son âme."
Ainsi l'auteur substitue à l'exil une patrie émotionnelle que les amitiés profondes peuvent offrir, mais cette amitié, proche du sentiment amoureux, peut être pesante tant elle est fusionnelle.
Khaled ressent cette charge mentale lorsqu'il déclare : "Certains, comme Mustafa, pensent que l'amitié, ou du moins le genre d'amitié qui nous liait tous les deux, sanctifiée par le sang, devait être comme l'amour romantique, monogame. "

Pour échapper à cette exclusivité, Khaled va compartimenter sa vie durant toute une période et tardera à révéler son amitié avec Hosam, de peur de blesser Mustafa. Cette attention à l'autre, ce désir de le préserver de tout chagrin, prouve la profondeur de cette amitié.

Toutes ces analepses aboutissent à une réflexion sur la manière dont le temps met à l'épreuve et effiloche ces liens.
L'émergence du Printemps arabe va bouleverser cette amitié triangulaire car chacun devra faire des choix.
Hisham Matar décrit magnifiquement la décision prise par Khaled, celle d'un homme qui, loin de toute forme d'héroïsme, assume une vie ordinaire, quitte à ce qu'on lui reproche son inertie.

"Je ne peux pas retourner là où je voudrais retourner, car l'endroit et moi avons changé, et ce que j'ai construit ici est peut-être maigre et modeste, mais ça m'a coûté tout ce que j'avais et j'ai peur, si je pars, de ne pas avoir la volonté de revenir, et alors je serai perdu à nouveau, j'ai déjà été perdu par le passé et je ferai n'importe quoi pour ne plus jamais l'être, et je ne sais pas si c'est lâche ou courageux et cela m'est égal, et j'ai décidé sans décider, car c'est ma seule option, de m'en tenir aux jours, de dormir quand il est bon pour moi de dormir et de me réveiller à temps pour m'occuper de mon travail et des gens qui comptent sur moi. "

Hisham Matar ne porte aucun jugement sur ses personnages : on a l'impression qu'il les regarde vivre, avec nostalgie, mélancolie et tendresse. On oublie qu'ils sont des personnages de fiction d' autant plus facilement qu'ils sont mêlés à une réalité historique bien présente. Son écriture, classique et limpide, ne verse jamais dans le sentimentalisme ou les lamentations, et décrit avec acuité les tourments de l'exil et les bonheurs de l'amitié.



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