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Critique de Delivresetdeaufraiche


« Un jour, quand tu seras grande, tu comprendras... »

Manifestement très douée, la petite Adriana vit dans une famille madrilène bourgeoise déchirée, où l'on ne se touche ni ne se parle. Petite dernière, « arrivée si tard », comme le dit sa mère, Adri déboussole ses parents, qui l'aiment, certes, mais ne parviennent pas à la comprendre, s'interrogeant tant et plus sur cette enfant si différente, qui ne parle pas mais qui s'est recréé tout un univers imaginaire, ce « paradis inhabité » dans lequel les contes prennent vie, les licornes sortent des tableaux la nuit et les cagibis noirs deviennent le lieu d'une évasion propice au rêve…

Adri observe le monde des « Géants » avec le recul d'un enfant qui sait qu'il n'y a pas sa place, pas plus que dans le monde des enfants que lui propose l'école, qu'elle abhorre tout autant pour la bêtise de ses camarades que pour l'incongruité d'une discipline un peu ridicule qui se donne en spectacle.

Alors, en éternel décalage, elle se réfugie auprès des domestiques, les tendres et facondes Tata María et Isabel, qui lui ouvrent leur monde et lui offrent toute la hauteur de vue à laquelle elle aspire sur ce monde qui, sans l'être tout à fait, est pourtant le sien.

Alors que, malade et alitée, elle fait la rencontre de Gavrila, jeune garçon russe qui vit quelques étages au-dessus du sien, elle vit une véritable révélation : ce monde n'est plus seulement le sien, il existe des êtres qui peuvent partager ce paradis, pour tenter d'y habiter. Avec celui qu'elle ne tarde pas à nommer son « siamois », ce seront des rires, des échanges complices, des lectures partagées et une profondeur des sentiments qui, pourtant, ne pourront empêcher Adri de grandir et de se confronter au monde…

La poésie très aboutie de ce livre m'a énormément touchée. le monde imaginaire que se crée Adri est un véritable univers, qui tranche avec la dureté de la vie familiale et le contexte de la guerre civile espagnole, qu'Adri ne perçoit que comme un lointain écho. Il y est beaucoup question d'obscurité, d'enfermement et de déchirement (les thèmes de la maladie, du noir ou de la clé reviennent de façon récurrente) mais ces pages sont pourtant d'une grande luminosité. Les personnages y sont très finement décrits, mais jamais aucun mot n'est de trop. La langue est superbe, et l'on perçoit nettement, au fil des pages, la dimension autobiographique qu'y a instillée Ana María Matute, grande dame des lettres espagnoles qui a aujourd'hui plus de 90 ans. La tendresse de son regard sur le délaissement que vit Adri et la façon dont elle le sublime en créant son propre monde de poésie, dans lequel il ne manquerait plus que des personnages réels pour l'habiter, est bouleversante, nous renvoyant à la façon dont on imagine que la petite fille qu'elle a été s'est elle-même dirigée vers la littérature.

Un vrai coup de coeur pour ce très beau roman sur l'enfance et la création, qui ne manquera pas de rappeler à chacun des bribes de son enfance, loin du monde mystérieux des « Géants ».

Lu dans le cadre du programme "Masse critique" de Babelio: merci pour cette belle découverte !


Lien : http://delivresetdeaufraiche..
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