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Critique de michfred


Je n'avais plus lu Daphné du Maurier depuis...mes quatorze ans, âge où j'ai dévoré Rebecca avec délice, avant de le voir porté à l'écran dans le noir et blanc troublant du grand Hitch...

J'étais à peine plus vieille quand je suis allée voir Les Oiseaux, mon premier film "d'horreur", en couleurs cette fois, toujours du bon papa Hitchcock...j'ai eu peur, bien sûr, mais j'étais jeunette - et amoureuse: génial d'avoir peur quand on est amoureuse et que votre amoureux vous emmène au cinéma! Je n'avais pas lu ni avant ni après la nouvelle éponyme de Daphné du Maurier...

Lacune comblée! Dans ce recueil de 7 nouvelles -portant le nom de la première et la plus célèbre d'entre elles - j'ai découvert le talent de nouvelliste de la grande romancière anglaise, maître de l'angoisse subtilement distillée...

Un voyage au pays de l'inquiétude mais des nouvelles de qualité un peu inégale: si toutes avaient atteint celle des quatre premières j'aurais sûrement mis 4 étoiles!

La première nouvelle, Les Oiseaux, se passe en bord de mer, dans un petit hameau à la fois rural et marin dont les Anglais ont le secret.

La famille Hocken - le père, la mère, les deux enfants- voit, un matin d'hiver, les oiseaux faire, dans le ciel, un étrange manège, comme si une "inapaisable nostalgie " une "furieuse inquiétude" les agitait, les possédait. Ils semblent plus nombreux, plus vindicatifs, plus agressifs aussi. le vent d'est, glacé, souffle l'air des steppes. La radio distille de sombres nouvelles, un état d'urgence est lancé puis un raid d'avions de chasse. Mais les radios bientôt se taisent, et les avions dont les hélices se prennent dans des nuages d'oiseaux fous s'écrasent au sol.

Les fermiers voisins, le facteur, des enfants qu'on a imprudemment envoyés à pied à l'école meurent, piqués de mille becs. Les oiseaux ne s'attaquent qu'aux hommes: les vaches qu'on ne trait plus meuglent lamentablement dans les champs.

Nat Hocken est un ancien combattant, un solitaire, un prudent: il rassemble autour de lui son petit monde et organise la résistance, barricade portes et fenêtres, observe les heures d'attaque et les heures d'accalmie, et entreprend - mais jusqu'à quand?- de soutenir le siège infernal que les oiseaux - et spécifiquement les oiseaux de mer, dans leur coin de côte- semblent avoir installé contre les hommes...Sont-ils seuls sur terre désormais ? La colère inexplicable et sauvage des oiseaux contre les hommes est-elle sans merci ?

Pas la moindre clé – à mon avis, le vent d'est, le « coup des Russes » signalé par la brave Mrs Trigg (page 18) est une fausse piste : on est juste plongé sans crier gare dans une guerre sans merci des oiseaux contre les hommes – un bloc de mystère, une vindicte sans motif et sans pitié. Et c'est de là –et de l'écriture magnifiquement dosée, expressive, méticuleuse, de DDM- que vient notre panique ! Ah vraiment on est loin de la bluette à happy end de Hitchcock, et Nat Hocken le taiseux est un héros modeste, patient mais lucide, bien différent de cette insupportable chipie de Tippi Hedren, dont le chignon n'est jamais décoiffé, même par trois cents mouettes en furie !

Les trois nouvelles suivantes sont du même tonneau.

le Pommier est un petit bijou d'inquiétude sournoisement instillée dans un récit qui au début fait sourire..
Un mari, plutôt bon vivant, perd sa femme, Midge, une épouse insupportablement parfaite, frustrée et plaintive. Sans regret : à lui la douce liberté des veufs joyeux ! Mais un vieux pommier décati dérange cette liberté toute neuve : l'arbre fruitier a les attitudes pitoyables de sa femme, il semble lui faire des reproches, des signes..Et ne voilà-t-il pas qu'il se mêle de lui faire des cadeaux : des branches à brûler, des fleurs à foison, à faire crouler ses maigres branches, et une myriade de petites pommes acidulées ..Mais si chacun s'ébaubit de la renaissance inexplicable du vieil arbre, elle a le don d'exaspérer le veuf. Il n'a de cesse que de faire abattre ce pommier revenu d'entre les morts. Mais l'arbre éconduit ne se laisse pas faire…

La troisième nouvelle, Encore un baiser, a pour narrateur un homme simple, pris au piège d'un amour aussi soudain que total pour une étrange ouvreuse de cinéma qui l'entraîne dans un cimetière pour se faire embrasser..Une atmosphère de brumes délétères, de sensualité lascive et menaçante, et la rusticité du narrateur complètement aveuglé par son sentiment sont d'une redoutable efficacité pour semer l'inquiétude..

La quatrième nouvelle, le Vieux, m'a vraiment roulée dans la farine..Je n'en dirai rien, pour que la surprise soit complète !

J'ai moins aimé les deux suivantes : trop rocambolesque et mélodramatique –Mobile inconnu-ou trop attendue, trop téléphonée –Le petit photographe. Qu'importe : le style y est de toute façon un délice, et on savoure les touches d'humour –les habiles jeux de rôle du détective dans l'une- et l'incisive peinture psychologique d'une lady narcissique, en vacances dans la French Riviera, dans l'autre.

La dernière en revanche m'a beaucoup plu : elle renoue avec le fantastique et joue avec cette « Seconde d'éternité » où le destin rencontre et fracasse une vie – et où cette vie opiniâtre – toute pleine de la force des habitudes et animée par la puissance de l'amour maternel - s'obstine pourtant à continuer d'exister , au mépris du temps et des évidences…

Non, Daphné du Maurier, née en 1907, n'est pas une vieille dame un peu désuète qui nous raconte des histoires à frissonner doucement, entre le scone et le cracker.

Elle a un vrai talent de conteuse, elle parcourt toute la gamme de nos peurs en variant les plaisirs et les narrateurs. Elle fait revivre tous les milieux, elle épingle tous les travers, elle fait aussi des incursions dans le monde mystérieux des bêtes et des plantes…

Pour notre plus grand dépaysement, pour notre plus délicieux effroi…
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