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Critique de Nokturne


Ce livre de Carson McCullers est attachant (traduction: Frédérique Nathan). C'est le premier mot qui me vient. Attachant parce qu'il grouille de vie, parce qu'il fait place à la vie sans chercher à trop trier, à trop expliquer, sans prétendre être un surplomb qui serait plus que la vie elle-même et saurait ce qu'elle est, mais en donnant libre parole aux personnages, Blancs ou Noirs, qui partagent un même destin de déshérités. C'est un livre généreux, comme la vie, parfois ennuyeux aussi, avec des longueurs, comme la vie, encore une fois, et, comme elle, un peu brouillon aussi, foisonnant plutôt, car il y a ici une bonne quinzaine de personnages, principaux et secondaires, dont les parcours se croisent et se recroisent. le livre, tantôt suit les uns, tantôt les autres, isolés ou réunis, là-bas dans l'Amérique profonde, pauvre jusqu'à la misère et la famine, et effroyablement raciste des années 1940, quand la guerre vient d'éclater en Europe et que se déchaîne l'antisémitisme nazi.

Le livre est aussi pertinent car il n'y a sans doute pas un sujet, psychologique ou social, qu'il n'aborde de près ou de loin, et il s'ancre profondément dans la question des conditions nécessaires, mais qui font défaut, pour sortir la société américaine de l'exploitation économique et de l'oppression raciale : la lutte est-elle possible sans idéologie, sans une conscience de classe pour les ouvriers et de peuple pour les Noirs? Et le rôle de la Culture là-dedans : la musique, la littérature et les Arts n'éveillent-ils pas aussi à une conscience émancipatrice ? Et que peut la foi religieuse ?

Le fil rouge du livre est sans doute la petite Mick Kelly, dont on imagine facilement qu'elle peut être un double de l'autrice (qui avait 23 ans au moment de la publication de son livre) : une adolescente d'une quinzaine d'années, au caractère bien trempé, à la vie intérieure riche et pleine de rêves, une enfant libre, elle, qui déambule la nuit dans les rues pour habiter plus pleinement encore le monde et qui, un jour, découvre la troisième symphonie de Beethoven dans laquelle elle reconnaît, bouleversée, le chant qui habite son âme : elle est cette symphonie. C'est une constante dans le livre, d'ailleurs, que chaque personnage possède sa « petite musique » intérieure, son obsession, et qu'il reste incompris des autres, seul, assumant à sa façon la solitude.

La beauté du livre est certainement là, dans le respect de Carson McCullers pour ses personnages car, sous sa plume, leur petite musique et leur solitude leur appartiennent pleinement. L'autrice ne les sauve pas de leur destin de déshérités ni ne les abandonne : avec une lucidité humble mais déterminée, elle offre au lecteur ce qu'elle refuse de retirer à ces laissés-pour-compte, à savoir ce qui fait toute leur valeur : leur aspiration à exister, qu'ils soient repliés sur eux-mêmes ou soucieux des autres.
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