L'été où tout a fondu

La douleur est la plus intime de nos rencontres. Elle vit à l’intérieur de nous et touche tout ce qui fait ce que nous sommes. Elle s’attaque à vos os, elle règne sur vos muscles, elle capte toutes vos forces et vous ne les revoyez plus jamais. Le grand talent de la douleur réside dans la façon qu’elle a de vous toucher. C’est aussi en cela que consiste sa grande cruauté.

La folie. Un violon qui nous accompagne partout lorsqu’elle est dans notre tête, un chaos absurde lorsqu’elle est à l’extérieur de nous.

Qu’est-ce que j’avais dit, en prononçant ce mot de quatre lettres ? Je suppose que j’avais dit : Je ne veux pas que tu sois gay. Je ne veux pas que tu sois heureux, et non, ce n’est pas bien que tu aies envie d’être avec un homme. Pédé. N’est-ce pas ce que ce mot est censé vouloir dire ? Pédé ? Un mot qui disait que j’avais peur. Que je ne comprenais pas. Que jamais personne ne nous avait fait asseoir et nous avait tapoté la tête pour nous expliquer que parfois, un homme aime un autre homme et qu’ils font de belles choses ensemble.

Tomber amoureux est la plus belle aventure de notre espèce, et lorsque l’amour, commençant à bourgeonner, s’enroule délicieusement autour de notre âme, nous cédons aux crocs du cœur et prions – oui, nous prions – devant l’infini pour que tout amour puisse avoir sa chance, sa propre part de miracle.

En fin de compte, n’est-ce pas cela , la folie ? La clarté pour celui qui voit à travers elle, l’aberration pour le monde qui en est témoin.

Ces gens qui suivaient Elohim avaient tous leur Helen, leur Andrea Doria, tous possédaient un démon qu’ils avaient besoin d’accuser. Ils formaient un groupe de soutien pour ceux à qui on avait fait du tort. Comme l’homme dont le frère jumeau avait été tué lors d’un hold-up dans une station-service par un Noir portant un masque de ski noir. Il y avait le père dont la fille avait été transformée en légume par un conducteur bourré qui était bourré, noir, et vraiment très bourré. Et une femme, violée alors qu’elle sortait d’un bar de Toledo. Trois violeurs, une seule couleur de peau. Noire. Noire. Noire.
C’était cette couleur qui réunissait Elohim et son groupe. C’était la couleur de leur démon, et il fallait que leur démon ait une couleur pour qu’ils puissent le retrouver.

Le paradis est une bouche essoufflée. C'est le cœur enfoui, où deux âmes se rencontrent, se donnent et se prennent mutuellement des petits morceaux d'elles-mêmes, et pendant tout ce temps, la lumière gravite, scintillant doucement sur les bords.

Jamais plus je ne retrouverai mon frère, même s’il revient un jour, parce que cette nuit-là, il est mort, il a disparu, et les choses disparues cessent de devenir plus que ce qu’elles étaient. C’est cela la tragédie de perdre un frère aîné. Il reste figé à jamais. Vous, vous continuez, et un jour, vous devenez le plus âgé des deux. Cette inversion n’est pas naturelle. C’est ce qui empêche la famille de former à nouveau un tout.

Je serai le garçon noir. Tu seras la fille blanche. Et le monde entier dira non. Mais nous, on dira oui, et la seule éternité qui comptera, ça sera nous.

Je me suis demandé combien de fois ces ongles incrustés de terre avaient essayé de forcer des graines à germer malgré la sécheresse. Combien de fois ces petites mains avaient charrié des seaux d’eau pour assécher des parcelles inondées. Il savait mettre les légumes en bocaux et en faire des conserves comme moi je savais jouer à Mario Bros. Nous vivions dans le même monde, mais pour moi il venait d’une autre planète.