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Critique de fanfanouche24


En premier chef, des immenses Mercis aux éditions Gallimard et à Masse Critique pour la réception de la dernière traduction de Francesca Melandri, que je découvre, avec curiosité, à cette occasion. Une histoire familiale qui nous fait découvrir un autre pan de l'Italie et ses rapports avec l'Ethiopie... Les colonisations, les migrations, toutes les souffrances insupportables vécues par les migrants, partout, à toutes les époques... les exclusions raciales, les extrémismes politiques... qui font fi des droits élémentaires des autres hommes ! Un roman polyphonique dont il est très complexe de rendre la densité ... Je vais tenter d'en donner l'atmosphère et la pluralité des questionnements, des directions et des récits, de façon très imparfaite et subjective !

Avec cette fresque familiale et historique, j'ai découvert une période de l'histoire italienne, qui m'était complètement inconnue... ainsi que les folles ingérences, désir de puissance, d'annexion d'un pays... par le Duce, alors qu'avant les années 30, l'Italie entretenait des échanges amicaux avec l'Ethiopie. Mussolini, sans déclarer ouvertement la guerre à ce pays d'Afrique a envoyé ses troupes avec des moyens de combat sans commune mesure avec ceux des Ethiopiens, dont des gaz de combat.... 5 années de colonisation brutale... alors que ce pays avait été l'un des rares pays...qui avait échappé aux annexions extérieures ! Une vaste fresque qui nous pousse à de multiples réflexions , malheureusement toujours d'actualité...lorsqu'on constate l'hostilité, les nationalismes en ces temps de crise, s'exacerber de nouveau,et avec une propagation inquiétante ! Une oeuvre magistrale...perturbante, qui interroge nos sociétés en dérive, excluant, réactivant toutes sortes de racismes, de cupidités en périodes de crise... A travers le récit des personnages d'une même famille, à travers les époques... nous visitons et apprenons les coulisses politiques, historiques de deux pays ! De nombreux portraits de gouvernants abusifs, dont un portrait -charge de Silvio Berlusconi ainsi qu'un panorama historique de la société italienne, de Mussolini à nos jours, mettant en relief, par le biais d'une histoire familiale, des épisodes peu glorieux de l'Italie, et la folie mégalomaniaque du Duce , envers l'Ethiopie !

Lorsqu'on a fait fi des sauts de la narration dans différentes époques, identifié les très nombreux personnages... et dépassé l'insoutenable de certaines descriptions lorsqu'il s'agit des catastrophes humaines, et de misère absolue supportées par la majorité des Ethiopiens, nous sommes interpellés, pris , captivés par le récit de cette famille... et de cet aïeul, le Grand-père, nonogénaire , Attilio, personnage haut en couleurs, séduisant , ambigü, ayant vécu mille vies, entre sa jeunesse en Ethiopie, puis l'Italie... plusieurs mariages, des pans de vie cachés, des enfants... dont un enfant secret , né en Ethiopie...dont le petit-fils, surgira de nulle part, du jour au lendemain, en frappant à la porte de sa tante, Ilaria..., après deux longues années de "parcours du combattant" de "migrant" pour être accepté sur le sol italien ! Ilaria, adorée par son père, enseignante estimée, va devoir creuser, questionner pour découvrir le passé secret de son père, sa jeunesse en Ethiopie, dans une période politique critique... Ainsi nous ferons des allers-retours entre passé plus ou moins lointain, et présent... Elle ira de surprise en surprise, de révélations dérangeantes en questionnements perturbants, interrogeant l'universelle Humanité et ses dérives !...

Grâce à cette enquête familiale, nous découvrirons les différentes évolutions, ou stagnations du régime italien, les parodies des gouvernements, Les malheurs continus des éthiopiens... sans oublier la désinformation quant à ce pays maints fois éprouvé... dont les photographes ne rapportent , le plus souvent, que les "images-chocs"... de la famine dans les années 1975 !... "La faim en Ethiopie avait mis au centre du monde un pays dont beaucoup ignoraient l'emplacement, voire l'existence encore quelques mois plus tôt. Les plus célèbres photographes accouraient pour immortaliser de leurs clichés tragiques (...) l'énormité de la catastrophe (...) L'altérité représentée sur ces photos niait toute parenté humaine possible entre sujets et spectateurs. Epargnant ainsi à ces derniers le terrible abîme de la véritable empathie. "(p. 156) Une admiration confirmée face à ce texte foisonnant... à la documentation stupéfiante... aussi stupéfiante que le détail final, très impressionnant des remerciements de l'auteure; je tiens à retranscrire le tout dernier message, bouleversant... qui confirme une partie de mon ressenti.

Ce roman profond, riche d'analyses, d'observations très critiques sur les abus de tant de gouvernements,leurs vélléités, leurs cupidités, dont ceux de l'Italie... comme si l'auteure, par ce texte incroyable tentait , à son "modeste niveau" d'apporter quelque réparation, et un peu de juste reconnaissance envers les Ethiopiens, mais également envers tous les migrants du monde... souvent exploités, colonisés autrefois , et encore rejetés par les anciens colons , lorsqu'ils essayent de fuir la misère et la guerre ...!! (...) à Shimeta Ezezew pour m'avoir emmenée- à temps- chez les anciens -arbagnoch- Abuhay Tefere et Ato Channe : " Quand j'étais jeune, je me suis battu contre ton peuple et aujourd'hui tu viens chez moi pour m'écouter. Quel heureux jour ! Dimanche prochain, après la messe, je le raconterai à tout le monde." Un large bandeau nous offre une magnifique illustration des plus significatives : un très beau vol d'oiseau-migrateurs, avec au loin un bateau amarré ! Un appel tonitruant et vigoureux à la prise de conscience de tous !! Si il était besoin ... le mot "migrants" lorsque vous aurez lu cet ouvrage, ne pourra être entendu qu'autrement, avec une résonance toute neuve ! "Migrer est un geste total mais aussi très simple : quand un être vivant ne peut survivre dans un endroit, ou il meurt ou il s'en va. Hommes, thons, cigognes, gnous au galop dans la savane: les migrations sont comme les marées, les vents, les orbites des planètes et l'accouchement, tous des phénomènes qu'il n'est pas donné d'arrêter. Et sûrement pas par la violence, même si cette illusion est répandue. "(p. 49) Après ce grand choc de lecture, je suis doublement curieuse de lire ses deux autres ouvrages traduits et édités par Gallimard, comme de rencontrer prochainement cette auteure, chez son éditeur, ce 28 mars 2019 .... N.B : J'allais omettre des remerciements à la traductrice, Danièle Valin, qui a traduit l'oeuvre d'Erri de Luca ainsi les deux autres textes de Francesca Melandri , chez Gallimard...
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