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EAN : 9782072781711
576 pages
Gallimard (14/03/2019)
4.08/5   251 notes
Résumé :
Par un tissage subtil, documenté et superbement écrit, Francesca Melandri rapproche l’Histoire Italienne de celle du patriarche Attilio Profeti. A 95 ans, Attilio se souvient d’une vieille promesse. Tous mourront, sauf lui… Et effectivement, même avec sa mémoire et sa raison en berne, il est là, porteur d’un passé foisonnant. Bigame, trigame, intelligent, attachant, mais aussi fasciste et raciste patenté, cet homme hors norme a traversé le 20è siècle avec nonchalan... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (69) Voir plus Ajouter une critique
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Attilio Profeti, quatre-vingt-treize ans, est officiellement père de trois fils, et d'une fille, Ilaria, qui découvre un matin sur son pallier un jeune éthiopien se disant être son neveu, et le petit-fils d'Attilio. D'abord incrédule, la jeune femme, qui se met à fouiller dans le passé de son père, va se rendre compte qu'elle ne connaît pas cet homme dont l'histoire personnelle trouble est indissociable de celle de l'Italie.

Colonisation éthiopienne barbare, fascisme, racisme, corruption, ultra libéralisme, Francesca Melandri juge l'Italie d'hier et d'aujourd'hui. Dans les dérives nationalistes de son pays, à partir de l'histoire de la famille Profeti, d’Attilio ancien colon de l'époque mussolinienne à ses enfants, citoyens de l'Italie immorale, corrompue et xénophobe de Berlusconi, elle montre comment passé et présent se rejoignent.

Francesca Melandri raconte, avec la voix intime et singulière qui est la sienne, une histoire perturbante et bouleversante (étayée par un travail historique solide). Sans filtre, elle met en lumière des épisodes peu glorieux du passé d'une Italie qui continue, aujourd'hui encore, à être tentée par des voies extrêmes.

Un grand merci à Babelio et aux Éditions Gallimard pour leur confiance et pour la rencontre prochaine avec l'auteure.
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On connait bien mal ceux qui nous entourent.

Ceux que nous aimons,  pour nous,  sont un mystère tant notre regard sur eux est voilé par la tendresse ou émoussé par l'habitude.

C'est ce que semble penser Ilaria,   l'intransigeante héroïne du troisième  roman de Francesca Melandri, Tous sauf moi -  Sangue giusto,  en italien.

En le  lisant,  je n'ai cessé de penser à un film de Costa Gavras, Music Box, où l'héroïne, incarnée par Jessica Lange, découvre  peu à peu le monstre qu'a été,  qu'est encore son père,  émigré hongrois devenu americain, self made man charismatique, citoyen  respectable, grand père adulé, père chéri- et pourtant tortionnaire de la pire espèce, raciste impénitent, suppôt  des nazis en Hongrie...

Ilaria Profeti,  "petite Robespierre" , est elle aussi amenée à faire sur son père, Attilio Profeti, ce très vieil homme qui perd un peu la boule, des découvertes successives, et plutôt désagréables.

Le facteur déclenchant est l'arrivée , dans sa vie et son appartement romain,  d'un jeune homme venu d' Éthiopie, d'un noir d' ébène, et qui se dit son neveu.

 L' enquête d'Ilaria  sur l'identité  réelle d'Attilio Profeti, derrière les mensonges déjà presque démasqués de ses nombreuses "familles", de ses épouses, de ses enfants cachés,  va largement déborder le cadre d'une enquête familiale.

 Elle la conduit  à exhumer l'histoire de son propre pays dans les rapports sordides qu'il a eus, qu'il a encore, avec l'Afrique, cette terre meurtrie.

Fascisme, berlusconisme, libéralisme: trois  compagnons du colonialisme, trois fléaux .. tiens, comme Attila, le surnom d'Attilio. On y revient...

Après  les grèves succédant à la Grande Guerre, c'est l'avènement des chemises noires, l'occupation et la "pacification" de l'Abyssinie, sa mise en coupe réglée au nom de la Difesa della razza, chère aux anthropologues fascistes,   qui ravale les Ethiopiens au rang de créatures inférieures. On peut dès lors, sans scrupule,  les asperger d'ypérite , les nettoyer au lance-flamme. Les Habeshas, autre nom des Abyssins," les Brûlés ",  ne semblent plus devoir  leur nom à  la seule couleur de leur peau..

Apres la défaite fasciste, l'empire  du Négus est une sorte de régression féodale puis, une fois  le Négus destitué et étouffé , s'établit en Éthiopie la pire dictature socialiste qui soit, celle du sanguinaire Mengistu, avec la bénédiction des démocraties européennes, dont l'Italie,  qui lui envoient des chefs d'entreprise peu regardants sur la question des droits humains mais âpres au gain. L'Afrique si misérable est une terre de profits étrangers: une nouvelle colonisation économique qui n'a rien à envier à  l'ancienne. Les Éthiopiens émigrent en masse. Après les Brûlés,  voici les Sortis..

L'enquête d'Ilaria se déroule sur fond de corruptions et de scandales   berlusconiens , du bunga bunga à  la réception compromettante de Khadafi à  Rome - qui n'a rien à envier, elle non plus, à celle du même Khadafi par Sarkozy...-

 Et l'arrivée du jeune neveu d'Ilaria , menacé d'expulsion , la renvoie  aux lois iniques-  votées par le centre gauche,.-  sur l'immigration...et à  ce "Jus sanguinis" , ce droit du sang, abusivement traduit par "sang juste"!

Ce périple historique afro-italien croise et recroise la piste d'Attilio, le beau, le charismatique, le séducteur, le chanceux Attilio.  Et à chaque croisement,  une facette noire du personnage apparaît, une "facetta nera" comme dans  la chanson raciste des milices fascistes..

Comme sa fille, Ilaria,  on pousse un soupir de soulagement à voir s'éteindre, dans la sénilité et la démence, celui qui n'a jamais eu assez conscience de lui-même pour avoir des remords,  ni  assez de courage pour défendre vraiment les siens, à l'opposé  de son vieux copain Carbone, "madamato' comme lui, mais resté avec sa "madame"  éthiopienne et ses enfants métis, sacrifiant toute ambition, par fidélité et amour...et gagnant, au poteau, le concours de longévité qui était le but suprême d'Attilio. "Ils peuvent mourir tous, sauf moi. " ne cessait-il de répéter .

Raté. 

Encore plus dense, plus ambitieux, plus terrible , plus fouillé que les deux ouvrages précédents de Francesca Melandri , 'Tous sauf moi" est un livre puissant, dont l'enquête procède par cercles concentriques - et non, comme je l'ai fait plus haut, par souci de clarté, dans une démarche linéaire et chronologique.

Cette " enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon" s'élabore dans un désordre savant, comme dans  une vraie recherche, où le hasard mène à une vérité,  où les coïncidences  éclairent un contexte obscur, où  les rapprochements, les associations d'idées font soudain  jaillir la lumière.

Cette structure mouvante, sensible, intelligente, est un des atouts du livre, et rend l'identification à  Ilaria plus étroite. 

Rien d'explicatif, de pesamment surligné : la recherche historique profonde, solide, reste sous- jacente, discrète : elle est toujours sous le contrôle de la construction romanesque, elle dépend entièrement des aléas narratifs, de la psychologie des personnages,  ce qui est un vrai tour de force pour une matière historique aussi complexe.

Du coup, le lecteur  en sort non seulement bouleversé mais plus instruit, comme si ce tâtonnant  voyage, ce lent cheminement vers la vérité, il l'avait construit lui-même,  à la force du poignet.

Je remercie Babelio et les éditions Gallimard pour ce beau et grand moment de lecture! 
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« Nous sommes blancs Ilaria. Notre père est blanc. S'il avait vraiment un quart de notre sang, il serait, disons, beige. Et en fait, il est marron.
- Beige ? Marron ? Mais qu'est ce que tu dis Attilio ! Tu veux évaluer la couleur de sa peau avec un Pantone ?
- Je n'ai pas besoin d'un nuancier. Je le vois de mes propres yeux qu'il est trop foncé.
- Moi, j'ai vu de mes propres yeux une carte d'identité où figure le nom de mon père qui est aussi le tien. Et ça c'est un fait ! ».

Passionnée d'histoire, j'étais impatiente de lire ce livre. Imaginez-vous un matin de l'année 2010 découvrir sur votre palier, un jeune homme éthiopien qui est à la recherche de son grand-père qui n'est autre que votre père. A partir ce cet épisode, il devient évident d'élaborer un récit qui met en lumière cette part d'ombre de la période fasciste de ce pays en partant de la vie d'Attilio Profeti père.

Et la vie d'Attilio a été particulièrement remplie. C'est une personnalité fascinante par sa grande capacité à tamiser certaines parties de sa vie. Ilaria va naviguer dans les zones grises de l'existence de ce père. Séducteur, opportuniste, lâche, manipulateur, menant double vie, sans scrupule, Attilio a toujours eu de la chance. Mais aujourd'hui, avec ses 95 ans, sa mémoire s'effiloche. Ilaria va donc mener son enquête. Elle va mettre au jour les secrets de son père et l'histoire peu glorieuse de l'Italie, l'occupation par les chemises noires de l'Ethiopie de 1936 à 1941 et toutes les exactions, la violence, les massacres d'Addis-Abeba, l'horreur, les lois raciales, l'interdiction du métissage malgré de nombreux enfants nés des « talians », la corruption, l'utilisation du gaz Ypérite.

Quant à ce jeune homme éthiopien qui se trouve sur le palier d'Ilaria, il se nomme Shimeta Ietmega Attilaprofetti. C'est le petit fils d'Attilio dont personne ne connait l'existence. Sa demande d'asile a été rejetée et il raconte, lui aussi, à sa tante, toutes les épreuves et les atrocités qu'il a du affronter, lui le « sorti ».

Passionnant, érudit, intelligent, ce récit mêle l'histoire d'une famille fictive, celle d'Attilio Profeti père, à des portraits d'hommes connus historiquement. L'auteure s'est appuyée sur un énorme travail de documentation. Elle s'est rendue en Ethiopie. A rencontré des migrants afin d'être au plus près de la réalité. Mais voilà, ladite construction promène le lecteur d'une période à une autre sans cohérence ou dont la connexion n'apparaîtra que plus tard, plusieurs histoires s'entremêlent dont certaines ne m'ont pas paru indispensables ou je n'ai pas tout saisi, l'histoire est à la fois en 2010 et en même temps avec Mussolini. Cette gymnastique intellectuelle alourdie le récit et ne rend pas la compréhension du texte évidente. Ce puzzle risque de décourager plus d'un lecteur. Rien à voir avec le style d'écriture de « Plus Haut que la mer ».

Francesca Melandri cherche à mettre en évidence la politique coloniale de l'Italie et sa répercussion sur les mentalités et les migrations d'aujourd'hui. Avec ce livre, elle a espoir de sortir son pays du déni collectif de ce passé ou de son ignorance sans pour autant se poser en donneuse de leçons, elle est plutôt comme une archéologue qui fouille, qui creuse, pour mieux connaître le passé afin de mieux vivre le présent.

En juillet 1959, le Général de Gaulle en accueillant l'empereur Haïlé Sélassié lui rendit hommage en ces termes : « Nous savons, Sire, la France entière, le monde entier, savent qu'en votre personne on peut reconnaitre le souverain dont le courage et la valeur se sont démontrés avec gloire pendant la guerre et avec éclat durant la paix ».

Mais néanmoins, après toutes ces lectures qui n'ont pour vocation qu'éveiller les consciences, je ne me fais aucune illusion sur l'être humain.

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En premier chef, des immenses Mercis aux éditions Gallimard et à Masse Critique pour la réception de la dernière traduction de Francesca Melandri, que je découvre, avec curiosité, à cette occasion. Une histoire familiale qui nous fait découvrir un autre pan de l'Italie et ses rapports avec l'Ethiopie... Les colonisations, les migrations, toutes les souffrances insupportables vécues par les migrants, partout, à toutes les époques... les exclusions raciales, les extrémismes politiques... qui font fi des droits élémentaires des autres hommes ! Un roman polyphonique dont il est très complexe de rendre la densité ... Je vais tenter d'en donner l'atmosphère et la pluralité des questionnements, des directions et des récits, de façon très imparfaite et subjective !

Avec cette fresque familiale et historique, j'ai découvert une période de l'histoire italienne, qui m'était complètement inconnue... ainsi que les folles ingérences, désir de puissance, d'annexion d'un pays... par le Duce, alors qu'avant les années 30, l'Italie entretenait des échanges amicaux avec l'Ethiopie. Mussolini, sans déclarer ouvertement la guerre à ce pays d'Afrique a envoyé ses troupes avec des moyens de combat sans commune mesure avec ceux des Ethiopiens, dont des gaz de combat.... 5 années de colonisation brutale... alors que ce pays avait été l'un des rares pays...qui avait échappé aux annexions extérieures ! Une vaste fresque qui nous pousse à de multiples réflexions , malheureusement toujours d'actualité...lorsqu'on constate l'hostilité, les nationalismes en ces temps de crise, s'exacerber de nouveau,et avec une propagation inquiétante ! Une oeuvre magistrale...perturbante, qui interroge nos sociétés en dérive, excluant, réactivant toutes sortes de racismes, de cupidités en périodes de crise... A travers le récit des personnages d'une même famille, à travers les époques... nous visitons et apprenons les coulisses politiques, historiques de deux pays ! De nombreux portraits de gouvernants abusifs, dont un portrait -charge de Silvio Berlusconi ainsi qu'un panorama historique de la société italienne, de Mussolini à nos jours, mettant en relief, par le biais d'une histoire familiale, des épisodes peu glorieux de l'Italie, et la folie mégalomaniaque du Duce , envers l'Ethiopie !

Lorsqu'on a fait fi des sauts de la narration dans différentes époques, identifié les très nombreux personnages... et dépassé l'insoutenable de certaines descriptions lorsqu'il s'agit des catastrophes humaines, et de misère absolue supportées par la majorité des Ethiopiens, nous sommes interpellés, pris , captivés par le récit de cette famille... et de cet aïeul, le Grand-père, nonogénaire , Attilio, personnage haut en couleurs, séduisant , ambigü, ayant vécu mille vies, entre sa jeunesse en Ethiopie, puis l'Italie... plusieurs mariages, des pans de vie cachés, des enfants... dont un enfant secret , né en Ethiopie...dont le petit-fils, surgira de nulle part, du jour au lendemain, en frappant à la porte de sa tante, Ilaria..., après deux longues années de "parcours du combattant" de "migrant" pour être accepté sur le sol italien ! Ilaria, adorée par son père, enseignante estimée, va devoir creuser, questionner pour découvrir le passé secret de son père, sa jeunesse en Ethiopie, dans une période politique critique... Ainsi nous ferons des allers-retours entre passé plus ou moins lointain, et présent... Elle ira de surprise en surprise, de révélations dérangeantes en questionnements perturbants, interrogeant l'universelle Humanité et ses dérives !...

Grâce à cette enquête familiale, nous découvrirons les différentes évolutions, ou stagnations du régime italien, les parodies des gouvernements, Les malheurs continus des éthiopiens... sans oublier la désinformation quant à ce pays maints fois éprouvé... dont les photographes ne rapportent , le plus souvent, que les "images-chocs"... de la famine dans les années 1975 !... "La faim en Ethiopie avait mis au centre du monde un pays dont beaucoup ignoraient l'emplacement, voire l'existence encore quelques mois plus tôt. Les plus célèbres photographes accouraient pour immortaliser de leurs clichés tragiques (...) l'énormité de la catastrophe (...) L'altérité représentée sur ces photos niait toute parenté humaine possible entre sujets et spectateurs. Epargnant ainsi à ces derniers le terrible abîme de la véritable empathie. "(p. 156) Une admiration confirmée face à ce texte foisonnant... à la documentation stupéfiante... aussi stupéfiante que le détail final, très impressionnant des remerciements de l'auteure; je tiens à retranscrire le tout dernier message, bouleversant... qui confirme une partie de mon ressenti.

Ce roman profond, riche d'analyses, d'observations très critiques sur les abus de tant de gouvernements,leurs vélléités, leurs cupidités, dont ceux de l'Italie... comme si l'auteure, par ce texte incroyable tentait , à son "modeste niveau" d'apporter quelque réparation, et un peu de juste reconnaissance envers les Ethiopiens, mais également envers tous les migrants du monde... souvent exploités, colonisés autrefois , et encore rejetés par les anciens colons , lorsqu'ils essayent de fuir la misère et la guerre ...!! (...) à Shimeta Ezezew pour m'avoir emmenée- à temps- chez les anciens -arbagnoch- Abuhay Tefere et Ato Channe : " Quand j'étais jeune, je me suis battu contre ton peuple et aujourd'hui tu viens chez moi pour m'écouter. Quel heureux jour ! Dimanche prochain, après la messe, je le raconterai à tout le monde." Un large bandeau nous offre une magnifique illustration des plus significatives : un très beau vol d'oiseau-migrateurs, avec au loin un bateau amarré ! Un appel tonitruant et vigoureux à la prise de conscience de tous !! Si il était besoin ... le mot "migrants" lorsque vous aurez lu cet ouvrage, ne pourra être entendu qu'autrement, avec une résonance toute neuve ! "Migrer est un geste total mais aussi très simple : quand un être vivant ne peut survivre dans un endroit, ou il meurt ou il s'en va. Hommes, thons, cigognes, gnous au galop dans la savane: les migrations sont comme les marées, les vents, les orbites des planètes et l'accouchement, tous des phénomènes qu'il n'est pas donné d'arrêter. Et sûrement pas par la violence, même si cette illusion est répandue. "(p. 49) Après ce grand choc de lecture, je suis doublement curieuse de lire ses deux autres ouvrages traduits et édités par Gallimard, comme de rencontrer prochainement cette auteure, chez son éditeur, ce 28 mars 2019 .... N.B : J'allais omettre des remerciements à la traductrice, Danièle Valin, qui a traduit l'oeuvre d'Erri de Luca ainsi les deux autres textes de Francesca Melandri , chez Gallimard...
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Tous, sauf moi est un gros pavé de cinq cent cinquante pages très denses. Son abord ne le rend pas forcément attractif pour celles et ceux qui recherchent des lectures faciles. C'est pourtant un ouvrage tout à fait passionnant et les amateurs de romans historiques l'apprécieront.

En toile de fond, l'Italie des années vingt à nos jours, avec un large focus sur les pérégrinations africaines de la période mussolinienne. En trame narrative, le quotidien actuel d'une famille romaine, amenée par les circonstances à se pencher sur un passé occulté. En premier plan, la longue, très longue vie de son patriarche, un homme nommé Attilio Profeti, sur le point de s'éteindre, en 2010, à l'âge de quatre-vingt-quinze ans.

Cet homme n'est alors plus en état de se prononcer sur les assertions d'un jeune Noir, un sans-papiers éthiopien qui a franchi la Méditerranée sur un rafiot déglingué surchargé de migrants, et qui prétend être son petit-fils. Sa fille Ilaria, une intellectuelle bobo, perplexe devant l'apparition de ce neveu surprise, décide de mener l'enquête et de se pencher en profondeur sur le passé de son père. Elle ira de découverte en découverte.

Attilio Profeti avait bénéficié d'un physique et d'une prestance qui lui avaient toujours conféré une forme d'aisance et d'autorité naturelle. Tout au long de sa vie, il avait ainsi obtenu spontanément la confiance et la sympathie des personnes qu'il avait croisées. Stratège, opportuniste, manipulateur, occasionnellement truqueur, régulièrement chanceux, il avait su saisir de belles opportunités de carrière, tout en ayant toujours la sagesse de rester discrètement en seconde ligne, ce qui lui avait évité de rendre des comptes peu reluisants lorsque les vents avaient tourné. Grand séducteur, il avait multiplié les conquêtes féminines et avait assumé de mener une double vie… Peut-être même triple !

L'originalité de la grande fresque historico-romanesque écrite par Francesca Melandri est le déroulement de sa narration en sens inverse de la chronologie. Attilio Profeti apparaît d'abord en septuagénaire portant beau, participant en 1985 à une délégation officielle en Ethiopie, un pays qu'il avait quitté précipitamment quarante-cinq ans plus tôt. Que vient-il donc y faire ? On n'en connaîtra l'intégralité des tenants et aboutissants que bien des chapitres plus loin, en l'y retrouvant, dans les années trente, jeune et séduisant officier des troupes coloniales italiennes. Entre-temps, on l'aura vu en go-beetween dans un groupe de promotion immobilière très investi dans la rénovation urbaine à Rome : une reconversion habile et fructueuse dans les affaires, après avoir été l'assistant d'un anthropologue suprémaciste blanc, au sein d'un Ministère des Colonies rebaptisé subtilement, après la guerre, Ministère de la Coopération.

Dans cette chronologie à rebours, le lecteur avance comme dans un puzzle. Il ne peut comprendre l'intégralité de certaines péripéties, puisqu'elles découlent d'événements passés qu'il ne connaît pas encore. Leur révélation viendra plus tard, comme des pièces manquantes venant compléter les espaces vides. Un procédé littéraire qui donne du piment à la lecture.

J'ai été impressionné par la documentation extraordinairement riche et précise, attestée d'ailleurs par les longues lignes de remerciements à la fin de l'ouvrage. Il se peut toutefois que la profusion de détails, certes instructifs, lasse le lecteur privilégiant les aspects romanesques.

Plus haut que la mer, le précédent roman de Francesca Melandri, m'avait profondément ému par son humanité et sa délicatesse. Tous, sauf moi est écrit d'une plume sèche, analytique, comme une série de chroniques documentaires. Pouvait-il en être autrement en exhumant des épisodes peu glorieux de l'Histoire de l'Italie, enfouis au plus profond de la mémoire nationale ? Une mémoire qu'il n'est certainement pas facile d'assumer pour les natifs d'un pays ayant fait une partie de la guerre aux côtés de l'Allemagne nazie et l'ayant terminée dans les bagages de l'armée de libération américaine.

Vers la fin du livre, en découvrant l'enfance d'Attilio accompagnant la montée du Fascisme, j'ai pensé à la chance que j'ai eue, d'avoir été élevé en un lieu et un temps où toutes les idées pouvaient librement s'exprimer. J'ai pu choisir et construire les miennes en conscience. Elles sont ma responsabilité. Qui aurais-je été, si l'on m'avait bourré le crâne ?

Avec Tous, sauf moi, Francesca Melandri délivre un message très sombre. Libérés du fascisme et de ses crimes, les Éthiopiens sont tombés sous le joug féroce d'un régime démocratique populaire à la soviétique, avant d'être confrontés plus tard à la famine, à la guerre et aux luttes religieuses. L'Histoire est tragique et ses acteurs sont des monstres.

Une petite lueur : l'amour pourrait être un refuge acceptable.

Merci à Babelio et aux Éditions Gallimard.

Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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critiques presse (4)
LeJournaldeQuebec
22 juillet 2019
Un bouleversant roman historique qui dévoile de façon singulière plusieurs pages assez noires de la période fasciste.
Lire la critique sur le site : LeJournaldeQuebec
Liberation
17 juin 2019
Francesca Melandri met en scène ces mécanismes et ces confrontations avec la rouerie magistrale de la scénariste qu’elle fut [...] Le souffle du récit unifie ces épisodes, les agence minutieusement au sein de la mosaïque romanesque.
Lire la critique sur le site : Liberation
LeMonde
21 mai 2019
La romancière italienne explore les effets du colonialisme, des années 1930 à aujourd’hui : un passionnant jeu de miroirs.
Lire la critique sur le site : LeMonde
LeMonde
15 avril 2019
Dans Tous, sauf moi, l’écrivaine interroge l’accueil des migrants et le racisme de son pays à la lumière du passé colonial enfoui.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (106) Voir plus Ajouter une citation
Viola sourit toute seule dans l'obscurité de la chambre, pleine du souffle lourd de sommeil de son mari. Elle avait vraiment bien fait d'écrire ces deux lettres quelques mois plus tôt.

"Honorable professeur Lidio Cipriani, commençait la première lettre, je suis la mère du lieutenant Profeti Attilio. Mon fils a eu l'honneur de travailler avec vous dans l'importante mission scientifique africaine que vous avez dirigée. Je sais que vous avez pu apprécier alors le zèle de mon fils, son respect envers la hiérarchie, sa très pure fois fasciste virilement portée avec la chemise noire. Je viens donc respectueusement vous prier par cette lettre de prendre en considération l'occasion de l'appeler auprès de vous comme votre assistant, maintenant que vous êtes revenu en Italie. Je suis sûre que sa jeune ferveur, sa culture classique de diplômé en lettres anciennes seront pour vous …..", etc.

La deuxième lettre, adressée au ministre des Colonies, était beaucoup plus brève.
"Bertoldi Romano, assistant du professeur Lidio Cipriani, est de race juive du côté de sa mère". Celle-ci, Viola ne l'avait pas signée.
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La faim en Éthiopie avait mis au centre du monde un pays dont beaucoup ignoraient l'emplacement, voire l'existence encore quelques mois plus tôt. Les plus célèbres photographes accouraient pour immortaliser de leurs clichés tragiques, mais à la composition parfaite, l'énormité de la catastrophe : des enfants mourants, déshydratés comme des rameaux secs, des mères aux seins vides et aux yeux éteints, des troupeaux squelettiques qui avançaient dans des nuages de poussière. On y voyait aussi des silhouettes à la tête baissée, enveloppées dans des voiles comme des statues néoclassiques, et des cadavres nus dont les os et les tendons ressortaient avec la précision d'esquisses de la Renaissance. Ces images inspiraient une pitié symbolique, esthétique et résolument exceptionnelle. Les spectateurs auxquels elles s'adressaient en étaient à la fois horrifiés et rassurés : cette misère absolue était manifestement étrangère à leur existence. L'altérité représentée sur ces photos niait toute parenté humaine possible entre sujets et spectateurs. Épargnant ainsi à ces derniers le terrible abîme de la véritable empathie.

Et pourtant, comme le savaient les responsables des centres d'aide alimentaire d'urgence, il y avait autre chose qui se passait dans cette famine. Pour chaque enfant mourant dans les bras de sa mère épuisée, il y en avait dix qui, malgré leur ventre gonflé de vers, s'entêtaient à donner des coups de pied dans une balle de chiffons. Pour chaque corps abandonné aux vautours, il y avait des centaines de personnes alignées en rangs qui attendaient leur ration alimentaire. Pour chaque paysan qui avait fini par faire la queue, il y en avait beaucoup plus qui allaient chasser du gibier, qui cherchaient du travail à la pièce, qui déménageaient chez des parents dans des régions moins touchées par la sécheresse, c'est-à-dire qui tentaient de nourrir leur famille avec leurs propres ressources physiques et intellectuelles.

Mais les photographes et les caméramans ne pointaient jamais leurs objectifs sur ces scènes de résistance et d'ingéniosité. Ils choisissaient toujours uniquement celles qui montraient les Éthiopiens comme des victimes passives et inertes, manquant de tout et surtout de volonté. Les journaux télévisés du monde entier répétaient la formule : "Un million de morts." Un anthropologue objecta que le chiffre réel -de l'ordre de centaines de milliers- était déjà suffisamment atroce ; l'arrondir de façon aussi théâtrale témoignait d'une boulimie d'émotions fortes plus que de respect pour les victimes. On l'accusa de manquer de compassion.

Bien peu expliquaient que si la faim sévissait justement dans le Choa et le Wollo, foyers de résistance au Derg depuis toujours, ce n'était pas une malheureuse coïncidence ; c'est-à-dire que l'enchaînement guerre-famine-épidémie ne concernait pas seulement le XVIIe siècle lombard de Manzoni, mais aussi, aujourd'hui, la guerre fratricide entre l'Ethiopie et l'Érythrée. Bien peu se demandaient qu'elles étaient les industries occidentales qui fournissaient les armes pour cette guerre.

Mais l'épopée tragique de ce récit médiatique aurait été perturbé par ces contenus politiques, trop prosaïques car humains et inscrits dans l'histoire. On préférait parler de l'Ethiopie comme d'un pays frappé par une grandiose et irréductible apocalypse naturelle - "biblique" était l'adjectif le plus utilisé. Entre-temps, les rock stars vendaient des millions de billets pour leurs concerts de bienfaisance.
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Ilaria halète, elle sent qu'elle se noie. Depuis qu'elle a commencé à lire - il y a quelques minutes - elle a bien dû respirer plusieurs fois et pourtant, elle a l'impression de sortir d'une plongée en apnée.

Elle tourne les pages, cherche la date de publication : "An XVII E.F. - 1939". Elle lève les yeux. Elle les passe comme un pinceau sur le dos des autres lecteurs de la Bibliothèque Nationale, dont aucun n'est en train de lire l'écrit d'un père qui célèbre la suprématie blanche.


Quand elle referme le fascicule, les feuilles retombent l'une sur l'autre comme des ailes de papillons fatigués.


page 198
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Se rendre compte qu’on ne connaît vraiment personne, pas même ceux qui nous ont donné la vie, est une pensée austère et solitaire. Mais pour moi, il est plus douloureux d’imaginer que mon père percevait peut-être en lui des couloirs où il ne parvenait même pas à entrer. Qui sait si la sénilité, la démence de l’extrême vieillesse n’est pas cela aussi : une façon de rendre tolérable la souffrance causée par son propre mystère.
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Comme beaucoup de jeunes femmes dans les années 60, la suppléante portait de grandes jupes colorées, elle avait les cheveux aux épaules et la conviction que son véritable devoir consistait à éduquer les enfants à la fraternité entre les êtres humains. Un matin, elle leur dicta un sujet de rédaction : "As-tu déjà vu un noir ? Raconte."
Ce ne fut pas un succès. L'Italie était encore un pays où -immigré- voulait dire quelqu'un parti vivre à New-York, en Allemagne ou en Australie. Peu d'élèves avait vu des hommes d'autres continents. Plus de la moitié écrivirent sur leur feuille : "Non". Les moins laconiques : "Seulement au cinéma ou à la télé." (p. 226)
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Vidéo de Francesca Melandri
Qu'est-ce qui se joue lorsque l'on décide d'écrire sur sa famille ? Et comment rejoint-on ce terrain d'écriture en particulier ?
Voici quelques-unes des questions que nous explorons avec Anne Berest dans ce nouvel épisode de notre podcast. Son roman, "La Carte postale" , une enquête palpitante et glaçante sur sa propre histoire familiale, a été sélectionné pour le prix Goncourt des lycéens. Alice Bourhis, lycéenne à Brest, nous en dira quelques mots.
Et pour terminer, nous découvrirons les coups de coeur de notre libraire Romain : cinq histoires familiales que nous ne pouvons que vous recommander.
Pour retrouver les livres d'Anne Berest, c'est ici : https://www.librairiedialogues.fr/personne/personne/anne-berest/1960930/
Et pour nous suivre, c'est là : INSTA : https://www.instagram.com/librairie.dialogues/ FACEBOOK : https://www.facebook.com/librairie.dialogues TWITTER : https://twitter.com/Dialogues
Bibliographie :
- La Carte postale, d'Anne Berest ( éd. Grasset) https://www.librairiedialogues.fr/livre/19134288-la-carte-postale-anne-berest-grasset
- Gabriële, d'Anne et Claire Berest (éd. le Livre de poche) https://www.librairiedialogues.fr/livre/14416364-gabriele-anne-berest-claire-berest-le-livre-de-poche
- Soleil amer, de Lilia Hassaine (éd. Gallimard) https://www.librairiedialogues.fr/livre/18955847-soleil-amer-lilia-hassaine-gallimard
- Les Impatientes, de Djaili Amadou Amal (éd. J'ai lu) https://www.librairiedialogues.fr/livre/19924245-les-impatientes-djaili-amadou-amal-j-ai-lu
- Tous, sauf moi, de Francesca Melandri (éd. Folio) https://www.librairiedialogues.fr/livre/17044694-tous-sauf-moi-francesca-melandri-folio
- Les Survivants, d'Alex Schulman (éd. Albin Michel) https://www.librairiedialogues.fr/livre/20116962-les-survivants-roman-alex-schulman-albin-michel
- Nature humaine, de Serge Joncour (éd. J'ai lu) https://www.librairiedialogues.fr/livre/19924222-nature-humaine-serge-joncour-j-ai-lu
- Lettre au père, de Franz Kafka (éd. Folio) https://www.librairiedialogues.fr/livre/712442-lettre-au-pere-franz-kafka-folio
- Miniaturiste, de Jessie Burton (éd. Folio) https://www.librairiedialogues.fr/livre/10951710-miniaturiste-jessie-burton-gallimard
Et voici les romans dans lesquels vous pourrez retrouver les familles citées dans l'introduction de l'épisode :
- Les Rougon-Macquart : Les Rougon-Marcquart, d'Émile Zola (éd. Pléiade Gallimard) https://www.librairiedialogues.fr/livre/247912-les-rougon-macquart-1-le-ventre-de-paris-his--emile-zola-gallimard
- Les Rostov : La Guerre et la Paix , de Léon Tolstoi (éd. Pléiade Gallimard) https://www.librairiedialogues.fr/livre/205936-la-guerre-et-la-paix-leon-tolstoi-gallimard
- Les McCullough : le Fils , de Philipp Meyer (éd. le Livre de poche) https://www.librairiedialogues.fr/livre
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Plus haut que la mer

Lors d’une sortie, avant de se marier, qu’est-ce que Luisa avait demandé à son futur époux?

De regarder l’horizon
De se taire pour écouter le bruit du vent
De courir avec elle
De l’embrasser

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Thème : Plus haut que la mer de Francesca MelandriCréer un quiz sur ce livre

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