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Critique de horline


A la lecture des premières pages, ce n'était pas gagné que j'aille au bout de ce roman qui, à l'aide d'un stylo affûté comme un scalpel, tresse des images de silence et d'horreur dans cette Éthiopie des années soixante-dix. Décennie qui voit l'empereur Sélassié se faire déposer par une révolution très vite confisquée par la junte militaire du Derg, laquelle instaure une dictature répressive sous couvert d'une propagande socialiste.

Le récit s'ouvre sur la famine qui frappe le nord du pays avec une écriture minutieuse, implacable, sans marque d'émotion ni de jugement comme si les faits étaient des actes inévitables. Les personnages croisés semblent frappés d'accablement, devenus comme nus après la mort de l'héritier d'une dynastie contemporaine du roi Salomon.
Même Hailu, médecin à l'hôpital dans la capitale, semble au début à peine perturbé par la situation du pays et cette junte marxiste totalitaire, il est vrai la maladie de sa femme est suffisamment préoccupante pour lui et les deux fils. Mais il suffit d'un choix, d'une décision pour voir son destin basculer et découvrir un monde où les individus sont réduits à des grains de sable.
Le récit s'enfonce alors dans le désarroi, un désespoir semé de violence, exprimé sans un mot de trop à travers une écriture sans inhibition qui n'édulcore, ni ne masque la brutalité des faits. le roman aurait pu être d'une absolue noirceur et le lecteur frappé de torpeur si l'auteure n'avait pas eu l'intelligence de centrer l'intrigue sur la famille de Hailu accompagnée d'une galerie de personnages gravitant autour et la force vitale de l'amour filial.

Le roman puise véritablement sa force dans cette famille, d'êtres de chair et d'esprit pris dans un conflit déshumanisé. J'ai été comme absorbée par cette famille désunie sous le poids des convictions et des tempéraments qui isolent chacun de ses membres. Une famille fracturée par des décisions et des promesses trahies. Mais les temps chaotiques ont le pouvoir de ressouder ce que les vicissitudes de la vie peuvent défaire, et les résignations consenties comme les épreuves endurées tendent à rendre solidaires ces êtres en souffrance.

Ce n'est pas un bouquin que je recommanderais facilement tant les actes de barbarie rapportés sont terrifiants. Accordant peu de place à la vie quotidienne, c'est un roman féroce dont quelques passages se lisent la gorge serrée et laissent la conscience effarée. Il y a eu la crainte de se perdre sur les chemins éthiopiens parsemés de cadavres mais l'émotion née de la poésie de la relation difficile entre les membres d'une famille a été salutaire. Je me suis même sentie happée par la douleur mutique de ces individus meurtris à laquelle Maaza Mengiste a su donner une vibration unique.
Un roman au souffle long, maladroit parfois aussi, comme beaucoup de premiers romans. Mais il est parvenu à me captiver et à m'atteindre en plein coeur.
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