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Critique de Lucilou


Un livre en forme de cri, de hurlement. En forme de vocifération.
Un livre qui réussit l'exploit de combiner à l'expression brûlante voire violente d'un ressenti la construction fine d'un cheminement personnel qui doit pourtant résonner chez bon nombre d'entre nous et d'une réflexion aussi passionnante que nécessaire. Il y a une forme d'urgence dans "Vénère" qui rend cet essai à la fois beau et fulgurant en plus de son utilité politique.
Dans "Vénère" donc, Taous Merakchi qui pour cet ouvrage a renoncé au pseudonyme qui l'a fait connaître (Jack Parker, les trentenaires qui lisaient Madmoizelle savent) revient sur la colère qu'elle porte en elle, cette colère qui menace d'exploser, de tout faire jaillir comme un volcan et de faire de ce(ux) qui l'entoure(nt) ce que fit le Vésuve de Pompéi. A moins qu'elle ne la ronge puis la tue de l'intérieur. Il est des colères-serpent qui étouffent à en crever. Et c'est là que c'est fort: cette colère qui la bouffe et la dévore, elle a beau appartenir à l'auteure, découler de son vécu et de certaines de ses souffrances, on finit par se rendre compte qu'elle nous possède nous aussi. Qu'elle se tapit dans l'ombre de beaucoup d'entre nous. Et c'est une souffrance supplémentaire presque autant qu'un soulagement de penser que ce qui nous dévore dévore aussi cette auteure brillante et avec elle, sans doute, un bon nombre de femmes. Parce que les situations qui la font bouillir nous font bouillir aussi et que nous les vivons toutes au quotidien, ou presque: cet homme qui se frotte contre vous jusqu'à l'érection dans le métro, le message qu'on ne manque pas d'envoyer aux copines pour les (r)assurer qu'on est bien rentrée chez soi -saine et sauve- après la soirée, le discours abject de cet ami d'ami que le viol révolte mais qui trouve malin de préciser que quand même "t'as vu comme certaines s'habillent aussi, après faut pas s'étonner", les écouteurs sur le chemin du retour et cette musique qu'on écoute pas mais comme ça au moins on a l'air occupée, le sacro-saint discours sur les pulsions de ces messieurs qu'ils ne peuvent dompter, les "non" qui doivent être répétés voire hurlés pour être compris, l'antienne qu'on n'en peut plus de vomir "non ma mini-jupe n'est pas une invitation", les accusations d'hystérie dès que la colère pointe alors que c'est bien connu, un homme qui se met en colère, lui il est viril, il a du caractère, il s'affirme… Les regards condescendants quand on essaie de s'exprimer sur un sujet dit "masculin" et cette idée révoltante qu'il y aurait des gouts réservés: "Tu veux faire de la boxe, déconne! Une petite meuf comme toi?"...
Et des exemples, il y en a encore tellement...
Dans une écriture incisive, volontairement combattive et chapitres après chapitres -ces derniers sont par ailleurs relativement courts et très clairs- Taous Merakchi revient sur tous ces moments qui justifient sa colère et qui l'amplifient, expliquant au passage pourquoi, pourquoi tout ça lui fait bouillir le sang.
En parallèle, elle se livre aussi à une véritable introspection, cherchant à remonter aux origines de cette colère qui la déborde, évoquant son passé, son histoire. C'est ici plus intime qu'universel et c'est d'autant plus touchant, poignant qu'on s'aperçoit que cela nous pousse à remonter à la source de notre côté aussi, à créer notre propre cheminement pour dompter nous aussi cette colère que Taous Merakchi dissèque avec feu et intelligence et dont elle nous invite à nous emparer à notre tour.
Salvateur.

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