La lecture est ce qui caractérise les Français dans les lieux publics.
Mon père, pour des raisons que j'ignore, regarde toujours le journal télévisé de TF1. Je me demande pourquoi cette chaine qui, lorsqu'elle montre des arabes vivants en France, ils ont forcément un fort accent qui les rend inintelligibles, et qui, lorsqu'elle montre des Noirs vivants en France, c'est toujours dans le cadre d'un reportage sur les aides sociales, je me demande en quoi cette chaîne peut intéresser mon père.
La peau blonde et les yeux clairs, sont l'idéal esthétique des algériens; hommes comme femmes. Les algériens n'aiment ni leur langue, ni leur physique. Comment peut-on construire un pays, quand on n'aime ni sa langue ni soi? A quel moment l'algérien a-t-il basculé d'un être fier d'avoir libéré le pays, à un être complexé t ne sachant pas quoi faire de ce même pays?
La lecture est ce qui caractérise les Français dans les lieux publics. Secrètement ou pas, beaucoup de Français rêvent d’écrire un livre a un moment de leur vie.
...je ne comprends rien à ce qu'il raconte, et il ne comprend rien à ce que je dis. Nous parlons pourtant la même langue: le français. Car comme tous les algériens de sa génération, mon père ne connaît que le français. Les algériens de ma génération parlent algérien: une langue constituée d'une base de français, plus ou moins arabisée c'est à dire phonétisé comme l'arabe;.....L'arabe n'a jamais su s'imposer en Algérie. Ce qui rend les Algériens incapables de communiquer avec le monde: le français n'est pas complètement français pour communiquer avec des francophones; l'arabe n'est pas complètement arabe pour communiquer avec des arabophones. Les algériens sont, pour ainsi dire, coupés du monde.
12 h 12, le ticket sonne rouge. « Il a quoi votre ticket ? » me demande le conducteur. « Vous pouvez rester, je suis gentil aujourd’hui », reprend-il. Une dame essaie d’expliquer à son fils : « Ça, c’est la mairie de je-ne-sais-quoi. » C’était la mairie de Paris. Comme si l’on pouvait être à Barcelone ou à Beauvais ! Je demande au conducteur s’il va vers Saint-Michel. Il répond : « Oui. » J’ignore si le bavardage est réussi, mais ma journée a eu le sens que j’ai voulu lui donner.
Le parcours de bavardage entre mon père et moi, sera donc un parcours dépourvu d’intérêt. Il ne faudra pas réfléchir, car réfléchir c’est donner à son action un sens déterminé par un intérêt. J’habite Clichy-la-Garenne, je ne prends que le métro, jamais le bus. Le ticket de métro étant également valable pour le bus, je choisis le jour de mon anniversaire, le 24 octobre, pour « bavarder » avec mon père, en bus. Comme il ne faut pas réfléchir, pour que ce parcours soit le parcours de bavardage entre mon père et moi, je prendrai le premier bus qui se présentera, ce sera le cadeau de mon père pour mes 37 ans.
Je ne discute jamais avec mon père, nous n’avons pas grand-chose à nous dire, nous bavardons encore moins. Ce jour-là, juste avant de repartir en Algérie, mon père m’avait laissé un mot : « Je n’ai pas eu le temps de bavarder avec toi, je te laisse ce ticket de métro. Ton père. » À côté du mot, il y avait le ticket de métro. L’écriture de mon père, régulière et fière, m’a toujours fasciné. Mon père a toujours besoin de signer « ton père », quand il m’écrit. Comme si, ce jour-là, ç’aurait pu être quelqu’un d’autre. Comme si je ne reconnaissais pas son écriture. Est-il fier d’être mon père, au point de le souligner ?