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Critique de Kirzy


Kirzy
06 décembre 2021
J'ai mis du temps à entrer dans ce roman, un peu dérangée par la forte présence du metteur en scène démiurge que l'on sent actionner les ficelles de ses personnages sans leur laisser la moindre chance de s'en sortir. En fait, durant tout le roman, l'intrigue est propulsée par des situations reposant sur des erreurs, à commencer par celle d'Isaac, l'erreur initiale qui fait basculer dans la tragédie. Ce mauvais choix ne m'a pas paru très crédible, trop grossière, déroutante même alors qu'on vient à peine de faire la connaissance avec ce personnage qui restera au demeurant très opaque. La chorégraphie même du drame m'a semblé heurtée, forcée.

Si le scénario est très artificiel, Philipp Meyer a un talent fou pour sonder l'Amérique profonde, ici celle de la Rust Belt en Pennsylvanie, fracassée par la désindustrialisation et la paupérisation qui a suivi la fermeture des aciéries. A ce décor désenchanté de mobil-homes, bars, gares ferroviaires et prison d'Etat, répond une peinture sociale puissante, celle des dépossédés, de ceux qui sont restés là et rêvent de partir. Cette radiographie des déclassés, à défaut d'être neuve, ne manque pas de saisir.

Même si son incarnation est un peu inégale, la force du roman est de nous faire entrer dans la psyché des six personnages principaux de façon très immersive, par des flux de pensée quasi faulkneriens, d'une grande intensité pour dire les dilemmes moraux qui les envahissent. Si Isaac, celui par lequel le drame advient, m'a peu touchée, son ami Poe est très touchant, lui l'ex-star du football qui a raté son intégration universitaire et végète depuis entre ennui et bouffées de violence incontrôlable. Mais c'est sans doute le personnage de sa mère, Grace, qui est le plus réussi, on perçoit immédiatement, en quelques phrases, tous ses rêves déchus et sa terreur de voir son fils sombrer. Elle qui lutte au quotidien pour conserver sa dignité et protéger son fils de la réalité sordide d'une région où les femmes sont tout particulièrement à la merci de chaque accident.

Sans mélo, sans complaisance, sans condescendance, Philipp Meyer trouve la bonne distance et sonde les subtilités et les complexités de l'âme humaine, jusqu'à ses recoins les plus sombres qui la font déraper et vaciller. Autour des thématiques amitié – amour – loyauté – culpabilité – trahison, il n'est question que des choix que l'on fait dans une vie, ou plutôt des choix que l'on croit faire. Les personnages sont sans cesse en mouvement, mais toujours sur un fil. La narration est implacable, la déterminisme social désespérant, le fatalisme omniprésent. La présence forte de la ville de Buell et des stigmates de sa chute, décrite admirablement, renforce cette impression d'enfermement qui se referme sur les personnages, sans échappatoire possible.

Ce n'est-être pas LE grand roman contemporain sur le rêve américain perdu ( dans la même veine, je lui préfère largement le brillant Ohio de Stephen Markley ) mais incontestablement, on sent tout le potentiel de l'auteur qui explosera de façon éclatante dans le Fils, son formidable roman suivant.
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