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Critique de Lucilou


Ma déception à l'issue de " Notre côté du ciel" est d'autant plus cuisante que le collègue qui m'en avait conseillé la lecture me l'avait vendu comme un "livre incroyablement beau et poignant" et est un lecteur auquel je dois de magnifiques découvertes. Pour celle-là, franchement, je ne lui dis pas merci.

L'histoire que nous conte Hans Meyer Zu Düttingdorf est double: d'un côté, elle nous transporte dans l'Allemagne des années 30; de l'autre, elle nous plonge de nos jours. Comme bien souvent avec ce genre de procédés narratifs, les deux époques finissent par se retrouver, liées par un personnage, un secret, le poids de l'Histoire.

Küstrin est une petite ville d'Allemagne cernée de remparts. Ses habitants y mènent une vie aussi paisible que possible malgré la crise qui a plongé certains d'entre eux dans la misère et la pression qu'exerce sur toutes ses familles plutôt modestes les retombées du traité de Versailles. Bien sûr, tous ne sont pas égaux et certaines familles s'en sortent mieux que d'autres. Mais tout ça, ce sont des histoires de grandes personnes, pas vrai? Les enfants ne s'en soucient pas eux, pas encore et en attendant de comprendre et d'être grands, ils jouent et s'amusent. C'est ainsi qu'Henriette, Hans, Charlotte et Karl forment la bande du "Trèfle à quatre feuilles", amis à la vie- à la mort et peu importe que le père de Hans passe pour un lâche auprès de celui de Karl qui peine à nourrir sa famille. Peu importe que Charlotte n'est plus de mère ou que celle de Henriette soit juive.
Peu importe, pour le moment, car les années passent et au fil des années 30, l'Allemagne sombre dans la noirceur absolue: l'air y devient de plus en plus irrespirable, oppressant surtout pour Henriette et ses parents qui chaque jour doivent faire face à la haine et à des mesures de plus en plus cruelles, à un climat politique glaçant. La fillette, puis adolescente, voit ainsi son horizon se réduire de jour en jour et ses amis s'éloigner. Sauf Hans. C'est qu'entre les deux jeunes gens, l'amitié s'est muée en amour, un amour fou même, mais l'amour lui-même aussi puissant fut-il n'a jamais été plus fort que L Histoire et la barbarie. Pour rester en vie, Henriette n'aura d'autre choix que de briser le coeur de Hans.

Des années plus tard, Rachel, une jeune uruguayenne, accompagne son arrière-grand-mère centenaire pour un voyage à Berlin. L'aïeule, au crépuscule de sa vie, a souhaité revenir sur les pas d'un passé qu'elle n'a encore raconté à personne. le moment est venu.

Sur le papier "De notre côté du ciel" avait tout pour constituer une réussite pleine et entière. Hélas… Bien qu'il ne soit pas dénué de certaines qualités, nous sommes très loin du chef d'oeuvre ou au moins de la lecture forte et poignante attendue... Plusieurs fausses notes dans la partition concourent, pour moi, à cette impression de gâchis, de ratage. C'est tellement dommage d'ailleurs ne serait-ce que par rapport aux quelques réussites esquissées.
Tout d'abord, j'ai été heurtée par la plupart des dialogues -particulièrement ceux de la période contemporaine- qui sonnent incroyablement faux la plupart du temps. C'est peut-être un problème de traduction à moins que cela ne vienne du personnage de Rachel, puisque c'est surtout du côté de ses propos que les dialogues m'ont dérangée, que j'ai trouvé aussi insupportable que peu crédible. J'ai eu l'impression qu'elle avait été construite uniquement comme un faire valoir un peu naïf du personnage de son arrière grand mère, que l'auteur surjouait sa candeur, son énergie pour bien montrer l'opposition entre les deux femmes... Un outil plutôt qu'un personnage, ce qui aurait pu la rendre plate et inintéressante mais qui la rend en fait très irritante.
Si seulement la liste de mes griefs s'arrêtait là...
Il se trouve aussi que le roman reste assez flou sur le contexte historique. On sait que la majeure partir de l'intrigue se déroule en Allemagne durant les années 30. Certes, mais c'est un peu court aussi bien pour voir au mieux l'évolution du cadre historique que celle des personnages et le plus souvent on en est réduit à des suppositions. Bien entendu, on sait tout plus ou moins ce qui se passait, mais un peu de précision n'aurai pas nui, au contraire. Par ailleurs cette absence de datation conduit aussi à un autre problème vis-à-vis des personnages. On ne sait pas vraiment quel âge ils ont et on se doit, à nouveau de supposer, ce qui n'est pas toujours très heureux. Cette imprécision va même jusqu'à poser un problème de cohérence: le romancier nous répète à tout va qu'Henriette est centenaire. Si l'on se réfère à la date de publication de l'ouvrage (2017), elle serait née en 1917. Or, elle a à peine 15 ou 16 ans en 1941 (seule date mentionnée dans le roman): ça ne colle pas. Alors oui, peut-être bien que je chipote mais il me semble à moi que lorsqu'on écrit un roman historique, on se doit d'être extrêmement précis et rigoureux. le manque de cohérence m'agace.
Autre grief: le manque de profondeur global de l'intrigue qui m'a beaucoup frustrée. L'auteur met en scène des personnages secondaires dont on sent, dont on sait qu'ils doivent faire des choix, qu'ils pensent... sans les approfondir du tout. Je pense à Charlotte, Karl, Hans. Je pense à Gerda et ses parents qui ne sont clairement pas assez développés alors qu'on n'attend que ça. Il en ressort, outre une impression de déception, une sensation de trop peu, d'inachevé rendue d'autant plus agaçante par le manque de travail et de rigueur quant au contexte historique. Comme le tout est saupoudré d'une bonne dose de mièvrerie (le récit de la première nuit de Hans et Henriette page 347 est un monument du genre, indigeste et ridicule, à grands coups de "elle sentait déjà ses doigts sur son trésor secret" et autre "ils dansaient sur le volcan" que ne renierait pas la plus sirupeuse de harlequinade. Pourquoi, pourquoi faut-il que les scènes d'amour tournent si souvent à ça?), le résultat est... bof.

Ce qui sauve "De notre côté du ciel" du ratage complet c'est le très beau et très poignant personnage d'Ephraïm, ce sont les parents de Hans et ceux de Gerda -complexes et donc attachants-; c'est cette volonté de vouloir raconter la montée du nazisme à travers le regard des enfants; c'est -enfin- l'impression d'enfermement et d'angoisse que subissent les personnages et qui montent graduellement, faisant ainsi monter la tension.
Des côtés très positifs donc dans ce roman, mais qui ne suffisent pas à compenser les défauts présents par ailleurs et c'est bien dommage.

Le sujet d'un roman, aussi grave et puissant soit-il ne se suffit pas à lui-même: c'est trop facile. Au contraire, à un "grand sujet" il faut aussi du travail, de la rigueur et de la beauté.
C'était bien essayé.
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