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Critique de panurge


AFGHANISTAN 2012 : POURQUOI MOURIR ?

Michel Goya, ancien colonel des troupes d'infanterie de marine, tient un blog sur la "Chose Militaire"(lavoiedelepee.blogspot.com) source inépuisable de textes fouillés, documentés, argumentés, pensés sur la guerre, la tactique, l'opératif, le stratégique.
Il est aussi l'auteur de plusieurs livres dont deux majeurs, "La chair et l'acier : l'armée française et l'invention de la guerre moderne, 1914-1918", ", Sous le feu : la mort comme hypothèse de travail", le premier traitant des mutations de l'armée française lors du conflit-matrice des affrontements du XXème siècle, le second de la zone de mort et de la bulle de violence, que connaissent tous les soldats engagés dans des opérations de combat, écrit à partir de son expérience personnelle dans l'ex-Yougoslavie.
Aussi son avis pèse.

Il a récemment recommandé "Jonquille" du capitaine Jean Michelin, commandant une compagnie de chasseurs à pied engagée, en 2012, dans l'affrontement afghan.

Ce texte raconte sans fioritures (on pense à la "317ème section" ou à "La section Anderson", de Pierre Schoendorffer) la vie de femmes et d'hommes attendant ou patrouillant sans relâche le plus souvent sans autre chose qu'un échange de quelques balles, heureusement sans dégât, ....jusqu'au 9 juin où quatre français et deux afghans trouvent la mort lors d'un attentat-suicide.
Le deuil, la tension, la culpabilité, la tristesse frappent alors comme une gigantesque claque les combattants d'abord sidérés puis ébréchés mettant un long moment à revenir à la surface.
La routine des missions, l'entraînement de professionnels aguerris, endurcis, préparés, l'attention portée aux souffrances finissent par remettre la machine en route.
Les soldats vivent avec cela.
La vie militaire s'expose là avec ses codes, ses pratiques, son langages et ses rituels. (ceux qui ont fait leur service retrouveront des échos de ce moment qui, à l'époque, ne risquait pas de se finir par une rencontre avec la mort).
La fin de mission, l'évacuation réussie de tous les postes, le passage par le "sas" de Chypre le retour dans une societé pacifique, dans une famille où il faut retrouver sa place clôturent cette période où "la part d'ombre" marchera toujours avec ces chasseurs montés au feu.

Ce livre pose plusieurs questions :

- celle de l'impossibilité de gagner un conflit de ce type avec une armée de ce format, c'est à dire surdimensionné, mal adapté, à l'engagement local...On retrouve une vision américaine de la guerre, celle du déploiement maximal de tous les moyens possibles dans tout affrontement. Comment s'en prendre à des fourmis avec un tel marteau-pilon ? Au quotidien, la guérilla tient les campagnes, les postes la route. Les engins explosifs improvisés menacent à tout moment. Les sapeurs déminent en premier avec heureusement d'autres moyens que ceux des années de guerre et d'immédiate après-guerre (cf "Par le sang versé" de Paul Bonnecarrère où, en Indochine, les soldats déminent la voie ferrée en frappant à espaces réguliers le rail au risque de voir une mine leur exploser à la figure).
La puissance engagée est celle d'un mammouth blindé numérisé qui ne peut se déployer...La lenteur des déminages sous très haute protection de la seule route de circulation vers les postes avancés ne permet pas de frapper directement (qui d'ailleurs ?).
On est à l'exact opposé de ce que l'armée française vécut en Indochine lors de l'évacuation des postes avancés dispersés en haut pays tonkinois qui nous valût une embuscade majeure à hauteur de Cao-Bang (1950) et la destruction quasi-totale des deux colonnes se portant l'une vers l'autre, la colonne de recueil et la colonne de repli. Hier rien, pas de support, pas de soutien et une guérilla inextirpable ; aujourd'hui, tout, un déploiement interarmes extraordinaire, un soutien magistral et toujours une guérilla inextirpable....

- celle de notre présence : que veut-on faire ? viser la liquidation des poches de résistance (à la façon des russes en Syrie qui massacrent tout le monde ou en concentrant une hyperforce sur une petite zone)? la pacification ? le renversement de la société afghane ?..... On sent bien qu'il n'y a aucun objectif précis derrière ce déploiement, que le "zéro mort" sert de doctrine (dans ce cas-là, pourquoi envoyer des femmes et des hommes pour qu'ils la risquent inutilement ?), et qu'au fond, on est là parce qu'on est là…
Lors de l'opération Serval, sur un terrain très propice à la manoeuvre, l'armée française a démontré un savoir-faire de très haut niveau notamment parce que les rôles étaient précisément répartis, les objectifs simples et la main laissée aux femmes et hommes de terrain (cf « La guerre au Mali » de Jean-Christophe Notin). Là on est très loin du compte.
On ne saisit toujours pas pourquoi on a envoyé des militaires dont certains meurent dans une indifférence à peu près absolue. La mort fait partie du Métier des Armes. Encore faut-il que cela ait un sens, une raison et une
reconnaissance ?

- celle de notre compétence : là aucun doute. « L'outil militaire » français est très performant, souple, capable de s'adapter à toutes sortes de situations, d'accomplir les missions et de faire vraiment bien (l'opération Serval le confirmera). L'Armée Française sait se battre pour la République, la Patrie et « la Gloire des Armes de la France ».

Cette guerre à hauteur d'homme devait être écrite. Ceci fait comprendre qu'un engagement n'est pas un jeu vidéo, un film où un commando, façon Super Costaud détruit le siège de la Force Obscure, instaure la Démocratie à la mode nord-américaine et libère des peuples enfin autorisés à aller au fast-food…C'est affaire de chair, de sang, d'intelligence, de courage, de solidarité, d'énergie dans un monde, très incertain, stressant ou la mort omniprésente peut se matérialiser à tout moment. Cela mérite à minima de une attention, un respect, un remerciement…Un livre à lire donc.
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