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Critique de Presence


Il s'agit d'un récit complet écrit et illustré par Frank Miller, initialement paru en 2011, essentiellement en noir et blanc. Il se présente en format à l'italienne (ou paysage).

L'histoire commence sur une double page où figure uniquement un énorme graffiti enjoignant le croyant à tuer l'infidèle. Il s'agit d'un extrait du Coran ; ni la sourate, ni le verset ne sont référencés. Suivent 8 pleines pages servant à montrer la ligne d'horizon formée par les constructions d'Empire City, ainsi que la fuite de Natalie Stack, une femme en tenue moulante avec des bas résilles, un masque de cuir et des baskets rouge pétant. Elle tente d'échapper à un superhéros appelé Fixer. Ils se tapent dessus, s'étreignent, se tabassent, s'embrassent pendant 14 pages. Survient une explosion destructrice et dévastatrice. La ville d'Empire City subit des actes de terrorisme qui vont aller crescendo. Fixer et Natalie vont tenter de mettre un terme à ces actes de terrorisme ; la course contre la montre a commencé.

Dans les interviews, Frank Miller explique qu'il a conçu ce récit en réaction aux attentats du 11 septembre 2001. C'est un récit colérique, émotionnel qui substitue aux sempiternels méchants nazis ou néonazis (généralement utilisés par des auteurs en panne d'inspiration), des terroristes islamistes (portant des keffiehs, pour être sûr que les lecteurs ne se trompent pas).

À partir de là, le récit permet 2 niveaux de lecture. le premier, le plus évident, correspond à un récit de superhéros faisant preuve de courage et d'acrobaties pour arrêter les méchants terroristes. le début est très impressionnant graphiquement avec cette course poursuite de toit en toit, ces silhouettes pleines de mouvements, d'énergie cinétique, cette façon accrocheuse de dessiner la pluie, etc. Frank Miller retrouve l'énergie plus grande que nature de The Dark Knight returns (en abrégé DKR). Et puis tout d'un coup, le récit retombe dans les relations sadomasochiste invraisemblables entre Fixer et Natalie Stack (je dis retombe parce qu'il n'est pas facile de faire abstraction du parallèle avec Batman et Catwoman) pendant 10 pages. À ce moment là, Miller situe clairement son récit dans une forme d'histoire dégénérée de superhéros. Il n'est plus question de héros valeureux et courageux, ou même de relations entre une alpha-mâle et une jeune femme libérée et athlétique (c'est-à-dire une vision dérivative, ironique et adulte du concept de superhéros à la DKR), mais bien d'une exagération railleuse et pervertie du concept de départ.

Une fois le récit installé dans ce mode bête et méchant, Miller propose un passage dont l'objectif reste un mystère : quelques pages avec un responsable d'un des attentats suicides. Miller ne propose pas de point de vue sur ses actions, uniquement la mise en images de l'injustice qui s'abat sur ses victimes. Quelques pages plus loin, il redéveloppe l'horreur arbitraire de la mort des victimes. Et c'est reparti pour les actions du superhéros en mode brutal, vengeur et exterminateur. La scène finale se déroule dans un repaire secret souterrain sous Empire City qui inscrit définitivement cette histoire dans le registre de l'aventure, du monde du spectacle, de l'évasion.

En fonction des séquences, les rétines du lecteur sont plus ou moins à la fête. Il s'agit du célèbre verre à moitié vide ou à moitié plein. Sur les 103 pages de bandes dessinées, 53 sont occupées par un dessin en pleine page. Évidemment, assez régulièrement, le lecteur peut se demander s'il est bien dans un récit raconté sur la base d'un art séquentiel, ou s'il s'agit plutôt d'une enfilade d'illustrations prêtes à être encadrés, reliés par une trame plus ou moins mince. L'avantage, c'est que ces pleines pages permettent de se repaître des trouvailles graphiques de Miller qui ne se contente pas de recopier les planches de DKR ou de Sin City. Par contre le revers de la médaille est que certaines autres pages croulent sous des phylactères massifs nécessaires à exposer suffisamment d'informations pour faire avancer l'intrigue, entre 2 enfilades de pleines pages.

Le deuxième niveau de lecture pourrait être de considérer cette histoire comme un commentaire politique et social sur le terrorisme. Ne me faites pas rire ! Quand Frank Miller écrit DKR, la dimension sociale qu'il introduit consiste à exagérer les petits délits, les crimes quotidiens, et la voracité des médias pour tout transformer en un spectacle oppressant. le résultat est jouissif et cathartique, mais la résolution se limite à voir en Batman l'avènement d'un mythe capable de galvaniser les hommes de bonne volonté (aucune application pratique dans la réalité). "Holy Terror" ne peut être lu que comme un divertissement. C'est une réaction viscérale à un acte de terrorisme barbare et spectaculaire. Frank Miller propose une catharsis qui consiste à exterminer de l'extrémiste islamiste à tout de bras, sans faire de détail. On est dans le divertissement, pas dans l'analyse géopolitique. Les terroristes sont caricaturés et réduits au stéréotype du musulman générique Aucune analyse, aucune finesse, aucune sensibilité ; c'est du même niveau que de dire que tous les allemands étaient des soldats SS responsables de camp de concentration pendant la seconde guerre mondiale.

"Holy terror" raconte l'histoire d'un superhéros dépourvu de toute personnalité, se faisant aider par une femme costumée (qu'il a tabassé avant les attentats terroristes) pour exterminer avec le plus de cruauté possible les méchants terroristes. Il y a quelques fulgurances impressionnantes du point de vue graphique, moins du point de vue narratif. Pour une histoire de superhéros, elle n'est pas très bien racontée.
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