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Critique de karmax211


Dans les grandes oeuvres d'Arthur Miller, il y a bien sûr - Mort d'un commis voyageur -, - Les sorcières de Salem -, mais - Vu du pont - est, à mes yeux, une de ses créations théâtrales parmi les plus fortes et les plus touchantes.
Alfieri, avocat américain d'origine italienne, nous conte le destin tragique d'Eddie docker italien naturalisé, qui vit près du pont de Brooklyn.
Eddie est marié à Béatrice, qui a, comme Eddie et Alfieri, les mêmes racines italiennes. le couple élève depuis qu'elle a cinq ans la fille défunte de la soeur de Béatrice, leur nièce Catherine, jolie jeune fille âgée de dix-sept ans.
Eddie se montre à l'égard de Catherine extrêmement protecteur.
Si leur vie n'est pas aisée, elle permet, grâce au travail acharné d'Eddie, de nourrir la "famille" et de permettre à Catherine de faire des études de secrétariat.
Étant la meilleure élève de sa classe, un poste de secrétaire stagiaire lui a été proposé dans une usine par le directeur de l'école où elle étudie.
Le salaire serait de 50 dollars par mois ( un bon salaire dans le contexte de l'époque ) et lui permettrait d'achever sa formation et d'être diplômée un an avant ce qui devait être à l'origine son cursus.
Eddie rechigne, arguant du fait que l'usine est dans un quartier populaire, qu'il aspire pour sa nièce à une vie dans un "meilleur milieu" et surtout... qu'il y a des hommes... et que Catherine n'est encore qu'une "enfant".
Dans le même temps, la famille attend l'arrivée clandestine de deux cousins venus de Sicile : Marco et Rodolpho.
L'immigration rôde...
Eddie, Béatrice et Catherine accueillent les deux cousins, que le syndicat des dockers va prendre en charge et auxquels il va se charger de trouver du travail.
Dans ce milieu, la loi de ces hommes est régie par des codes d'honneur.
Ces deux immigrés, ces deux "sous-marins", sont sous la protection de leur petite communauté et malheur à qui trahirait ou dénoncerait leur présence sur le sol américain au service de l'immigration.
Marco est marié et père de trois enfants restés en Sicile et qui n'ont que l'argent envoyé par leur père pour survivre à leur misère endémique.
Marco confie à Eddie et à Béatrice qu'il lui faut trois ou quatre ans de travail intensif pour sortir sa famille de la misère, mettre un peu d'argent de côté avant de retourner au pays.
Rodolpho, lui, a vingt ans. C'est un beau garçon. Il chante bien. Il est amusant, sait coudre et cuisinier... et il est blond... ce qui est rare pour un Sicilien.
Rodolpho n'a pas d'attaches et veut devenir citoyen américain.
Eddie le prend en grippe... le considérant comme "anormal".
La situation se tend lorsqu'il s'aperçoit de l'attirance qu'éprouve Catherine pour ce garçon qui, à ses yeux, n'est pas un homme.
Ce qui était tendu empire lorsque Catherine déclare vouloir épouser Rodolpho.
Eddie qui n'a qu'aversion pour celui qu'il qualifie de "tantouse", voit à présent en Rodolpho un opportuniste ne désirant épouser Catherine que pour obtenir la nationalité américaine.
Il demande conseil à Alfieri, recherchant auprès de la loi un secours à la passion qui le ronge et à la jalousie qui le dévore et qui l'obsède.
En dépit des conseils et des avis prodigués par l'homme de loi, et les tentatives de "médiation" de Béatrice... Eddie commet l'irréparable et dénonce Marco et Rodolpho à l'immigration.
Devenu aux yeux de tous un mouchard et un paria, il n'a d'autre issue que la mort.
Dans cette pièce, comme dans toutes celles de Miller, le sort de l'individu occupe une partie du thème développé, le reste est lié au sort du collectif, de la communauté, de la société et de ses ressorts politiques, de ses moeurs, de ses fondements sociétaux.
Ainsi dans - Vu du pont - le spectateur ou le lecteur voit se jouer un drame humain dans un contexte (toujours d'actualité) où la misère pousse des hommes au déracinement, à l'exil économique, à l'immigration clandestine et où l'Eldorado n'est pas pavé que de bonnes intentions et peut se révéler être au final un enfer.
Tragédie grecque avec au menu trois de ses piliers : l'inceste ( pensé mais pas consommé ), la trahison et la chute sacrificielle, - Vu du pont - est une pièce engagée de Miller qui, une fois de plus, nous montre sans pathos, sans emphase, sans grandiloquence, mais juste à travers la vie et le verbe de petites gens, que l'Amérique peut être un gouffre aux chimères qui exploite et broie, un rêve que l'on peut s'offrir à condition de ne pas se réveiller.
Subtilité aussi dans la psychologie des personnages.
Eddie n'est pas... tout comme Béatrice ou Catherine, un personnage monolithe.
C'est un homme de principes, un gros travailleur honnête, un tuteur qui prend son rôle au sérieux et s'en acquitte de son mieux... jusqu'au jour où l'enfant devient femme...
Catherine n'est pas, de son côté, exempte de reproches. Elle n'ignore rien du pouvoir d'attraction qu'elle exerce auprès d'Eddie.
Entre l'ombre et la lumière, Miller nous entraîne dans une histoire forte où l'homme se révèle impuissant face à la machine infernale dont il est l'un des rouages et l'un de ses concepteurs.
Une grande pièce !
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