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Critique de Voilier9


Je conseille vivement la lecture de ce livre qui a profondément bouleversé ma compréhension de la théorie de l'évolution. Daniel Milo insiste sur le fait que le darwinisme, ce sont deux théories en une : d'une part, l'évolution des espèces dont on sait aujourd'hui qu'elle se fait essentiellement par la transmission des caractères hérités ; d'autre part, « la sélection naturelle », expression que Darwin aurait finalement rejetée au profit de « la survie du plus apte ». Or, si l'auteur adhère pleinement à la première théorie, il cherche à invalider la seconde. Son argument est que l'évolution des espèces ne relève pas de la survie du plus apte mais de l'élimination des espèces inaptes. La différence est majeure car, entre les deux, un espace très important est laissé à « la survie des médiocres », ces espèces que Milo qualifie de good enough.
Les deux-tiers du livre sont consacrés à la critique de l'hypothèse de survie du plus apte dans la nature. Les arguments apportés par Milo sont nombreux et généralement convaincants : l'espèce girafe survit malgré une évolution qui semble avoir dégradé son potentiel adaptatif plutôt que de l'avoir amélioré ; l'archipel des Galapagos ne constitue en rien un laboratoire naturel de la sélection naturelle ; les homininiens (de l'australopithèque à homo sapiens) ont flirté avec l'extinction durant des millions d'années et n'ont manifesté un réel avantage adaptatif qu'il y a 60.000 ans.
Finalement, la survie du plus apte n'est le propre que de la « sélection artificielle » que l'humain met à l'oeuvre lorsqu'il tente de domestiquer la nature : malheur à l'espèce de blé qui ne satisfait pas les objectifs de rendement attendus, elle est rapidement remplacée par une espèce plus productive. À l'inverse, la nature est généralement bonne fille puisqu'elle tolère un grand nombre de mutations neutres du point de vue adaptatif. Mieux encore, la nature tolère un grand nombre de mutations qui réduisent l' « aptitude » de la plupart des espèces, ce que Daniel Milo appelle la tropéité : la girafe est trop grande, notre cerveau est trop gros, les plumes du paon sont trop longues, etc. Et lorsque cette tropéité implique la « sélection sexuelle », l'auteur rebondit sur l'idée que la nature y est indifférente.
N'étant pas spécialiste de ces questions, je suis incapable d'évaluer l'originalité des propositions de Daniel Milo. Celui-ci affirme que, si le discours des biologistes reste majoritairement basé sur l'hypothèse de la sélection naturelle, ils sont de plus en plus nombreux à considérer la survie du plus apte comme l'exception tandis que la survie des médiocres constitue la règle. Par ailleurs, il me semble que son argumentaire est très proche de la « théorie neutraliste de l'évolution » ou de la dérive génétique (qu'il laisse de côté car le grand public ne se l'est pas encore approprié).
Dans le troisième tiers du livre, Daniel Milo explore les deux principales raisons pour lesquelles homo sapiens a sans-doute définitivement gagné la bataille de l'évolution. La première est l'invention du futur qui suscite l'ailleurisme (le désir de migrer). La seconde est l' « humanité providence » qui explique qu'il y ait moins de sélection contre l'excès dans nos sociétés que dans la nature. Les causes en sont l'inversion des fins et des moyens, la spécialisation, la délégation, le chômage neuronal, l'industrie du « moi » et l'infantilisme. À titre d'exemple, les comportements de certains animaux dans le cadre de la sélection sexuelle (parades nuptiales, traits exagérés) ont évolué chez l'humain vers la compétition, la recherche de l'excellence et de l'exagération mais qu'il s'agit de moyens sans fins puisque la réussite et l'exploit ne sont plus les conditions de la reproduction sexuelle. Autre exemple, alors que nos neurones se sont à l'origine développés pour permettre à chaque individu d'assurer sa propre autonomie et celle de ses proches, ils sont depuis longtemps en grande partie au chômage du fait de la spécialisation des tâches et de la délégation, d'où l'ennui pascalien et la nécessité du divertissement pour se créer (individuellement et socialement) des problèmes à résoudre, des contraintes, des sources de stress… et des inventions/innovations dont la plupart aggravent notre tropéité.
Soulignons encore que le dernier chapitre ne critique ni le darwinisme social (ç'aurait pu être le cas, d'autant qu'Herbert Spencer, père du darwinisme social, est sans doute à l'origine de l'expression « survie du plus apte ») ni le capitalisme (contrairement à ce que le sous-titre de la version française du livre laisse entendre). Non, ce sur quoi Daniel Milo insiste, c'est sur le fait que les valeurs de nos sociétés contemporaines (la réussite, l'excellence…) trouvent en partie leur justification dans l'interprétation qui est faite de la théorie de l'évolution : si la nature favorise la survie du plus apte, il n'y a aucun mal à ce qu'il en soit de même de la société ! Or, on l'aura compris, pour Daniel Milo, cette interprétation est erronée : la nature est indifférente à la survie des médiocres… et il vaudrait mieux que nous nous en inspirions pour lutter contre nos multiples excès qui détruisent la planète.
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