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Critique de berni_29


Il y a de cela quelques années, il existait une petite librairie indépendante pas très loin de la rue de Siam, à Brest, qui s'appelait le Grand Jeu, tenue par une certaine Isabelle. La librairie a fermé en septembre deux mille. J'aimais cette librairie, j'y entrais parfois sans idées précises, le hasard faisait toujours bien les choses et Isabelle savait toujours proposer un auteur, un livre, un rendez-vous, un chemin nouveau hors des sentiers battus ; dire qu'elle a forgé ma conscience de lecteur serait peut-être prétentieux, mais cet endroit m'a donné le goût des livres et c'est déjà immense...
Ceux qui ont fréquenté cette librairie se souviennent d'une très belle aventure.
Je crois savoir que depuis, Isabelle a repris avec d'autres personnes une librairie du côté de la rue Mouffetard à Paris...
Pourquoi cette librairie s'appelait le Grand Jeu ? Je ne sais pas, peut-être une allusion à cette revue littéraire des années vingt, expérimentale, hors des sentiers battus elle aussi...
Mais je m'égare sans doute ou peut-être pas, revenons à ce livre de Céline Minard, qui s'appelle justement le Grand Jeu et qui m'a fait connaître cette auteure.
Peut-être suis-je venu inconsciemment vers ce livre comme une manière de revenir sur mes pas lorsque j'étais un jeune lecteur... Peut-être n'y a t-il jamais de hasard dans nos vies, dans nos gestes ? Simplement des rencontres, des rendez-vous...
Mais alors, pourquoi ce roman atypique s'intitule-t-il ainsi ? Peut-être pour les mêmes raisons qui avaient conduit Isabelle à baptiser ainsi sa librairie...?
Ce roman devrait donner envie aux amateurs de montagnes d'y venir, il les fascinera sans nulle doute. Les déconcertera aussi, j'en suis sûr.
J'adore les randonnées en montagne, sans forcément être un adepte des grandes hauteurs. Marcher longtemps, de préférence en solitaire, est déjà pour moi une forme de voyage intérieur. Côtoyant l'océan quasiment tous les jours, la montagne me fascine d'une tout autre manière. Marcher en montagne accentue, je ne sais par quel magie, cette sensation, cette grâce.
Ici c'est le récit d'une femme qui décide de quitter provisoirement son quotidien, le bruit du monde, prendre de la hauteur au sens propre comme au sens figuré, coller au plus près de la nature...
Un bivouac à même la paroi de la montagne, dans un endroit escarpé inaccessible à pied, une paroi rocheuse de haute montagne, à trois mille quatre cents mètres d'altitude. C'est d'ailleurs par hélicoptère qu'on l'aide à installer son bivouac.
Un bivouac sophistiqué.
Elle doit y rester quelques jours, quelques semaines, peut-être quelques saisons, observer, noter.
Une façon de de réapprendre à vivre, renaître ailleurs.
Ou tout simplement apprendre à vivre pour la première fois.
La narratrice nous présente avec moultes détails cette préparation, une organisation high-tech qui sort le grand jeu et où rien n'est laissé au hasard ; mais ce n'est doute pas ici que réside l'intérêt du roman, même si j'ai totalement adhéré au questionnement initial de l'auteure.
Rebondir,
apprendre,
apprendre à accueillir.
C'est une quête de sens, un chemin philosophique, un texte qui nous questionne sur ce qu'est notre existence, notre relation à nous-même, nos proches, nos sensables, notre rapport avec le monde.
C'est une vie en ermite que s'invente la narratrice.
Le Grand Jeu, est-ce être hors jeu, hors du temps, hors du monde...?
Il y a ici une esthétique de l'isolement, non pas la solitude, mais la survie, le retrait provisoire, le pas de côté, la marge, être brusquement hors-jeu, se regarder ainsi, s'observer, s'étudier méticuleusement, laisser infuser....
Tout est prévu dans l'organisation de cette expérimentation comme du papier à musique... Il y a même un potager à proximité du bivouac, c'est dire...
C'est un isolement volontaire en milieu hostile.
Et brusquement, une note discordante survient, ou plutôt une note inattendue s'invite dans la partition...
Sur cette paroi, elle n'est plus seule. Quelqu'un d'autre est là tout près, montre des signes d'existence, jette ici et là des indices, des traces d'une autre vie.
Ami ? Ennemi ? Élément perturbateur dans ce rouage trop bien rodé ? Prédateur ?
Moi aussi j'ai été perturbé par ce grain de sable...
C'est la confrontation avec l'autre, l'intrus forcément au premier abord, tout autre est souvent cela...
C'est un questionnement qui se poursuit dans ce rapport à l'autre.
Une solitude minérale qui se transforme en traque animale.
Mais la narratrice n'est-elle pas d'ailleurs l'intruse pour cet autre peut-être déja là avant elle ?
Le récit va alors prendre une tout autre dimension.
Que serait Robinson sans Vendredi ?
Que serait la cabane de Sylvain Tesson au fond de la Sibérie sans le surgissement du visiteur imprévu au bord du lac Baïkal, animal ou semblable, invitant le narrateur à des lendemains qui déchantent, où la vodka continue de cogner aux tempes.
Ici c'est le rhum...
L'intérêt du récit ne réside donc pas dans cette expérience high-tech de l'isolement volontaire, mais dans le surgissement de quelqu'un d'autre qui vient modifier le comportement de la narratrice dans cette aventure verticale.
C'est l'expérience d'un isolement où l'inattendu s'invite.
Je ne sais que penser de ce roman totalement déconcertant.
C'est un livre qui m'a fasciné, étonné, rendu perplexe.
Je reste sur tant de questionnements au final.
Mais c'est peut-être là ce que voulait l'auteure, laisser la part belle au lecteur, se retirer de cette paroi abrupte, pour laisser celui-ci imaginer le vertige, agir à son tour.
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