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Critique de kuroineko


Livre lu dans le cadre de Masse Critique. Je suis ravie d'avoir été sélectionnée pour recevoir le dernier opus de Bernard Minier. Un grand merci à Babelio et à XO Éditions.

Commençons par le début : la couverture, réussie. Très contemporaine avec cet arrière-plan urbain de vertigineux gratte-ciel sur lequel flotte une mystérieuse silhouette noire, a priori féminine, à la coupe carrée sévère (façon casque de Vador). le nom de l'auteur et un titre sybillin dans une typographie qui renvoie immédiatement à un univers high-tech, le M atrophié légèrement gauffré.
Le tout dans un camaïeu de bleus froids. Je ne sais s'il s'agit de la couleur préférée de Bernard Minier mais le bleu est le leitmotiv de toutes les illustrations de ses romans. Alliée ici avec le décor, elle donne d'emblée une sensation de monde froid et déshumanisé. Voilà mon ressenti avant d'ouvrir le livre.

Venons-en au roman. Les trois citations d'Eric Schmidt et d'Elon Musk sont rien moins que rassurantes. Et l'avertissement de l'auteur en rajoute une couche. Pas de doute, pour la "happy technology", on repassera... En deux petites pages, voilà de quoi apporter un fleuve au moulin des réfractaires à l'égard de l'IA, de l'hyper connectivité, du tout numérique, etc. Ou des assistants vocaux (Siri, Alexa ou, comme ici, DEUS... on appréciera la symbolique du nom...).

L'ahurissante vélocité des innovations technologiques actuelles a de quoi inspirer toutes sortes de scénarios anxiogènes quant au devenir de la société et de l'humanité. Bernard Minier avait déjà utilisé les ressources intrusives du numérique en matière de renseignement sur autrui dans Une putain d'histoire. D'autres auteurs ne se privent pas non plus pour pondre des intrigues où intelligence artificielle et objets connectés se révèlent nocifs et dangereux.
En l'occurrence, face à des révolutions numériques en route ou annoncées, face aux potentiels dangers d'utilisation du Big Data, face à l'inconnu que représentent la virtualité, réalité augmentée et autre, ces scénarios angoissants fonctionnent. Et sous la plume de Bernard Minier, je ne vous raconte pas!

Avec M, le bord de l'abîme, l'auteur reprend ces éléments anxiogènes, les exacerbent un chouïa. En parallèle, des meurtres atroces émaillent l'improbable cité de Hong-Kong, là-dessus une bonne pincée de paranoïa, une héroïne dont le passé se serait volontiers passé d'un tel passif, ... Pas mal comme ingrédients, non?
La ville chinoise la plus cosmopolite elle-même devient personnage avec ses buildings ultramodernes côtoyant des quartiers aux immeubles pourris et insalubres, avec ses triades, ses dangers et la moiteur étouffante d'un été subtropical (37° le matin et 90% d'humidité...). Ambiance glauque façon aquarium négligé depuis très longtemps. Lieu idéal pour une plongée en abîme tant humain que technologique car les principes éthiques et de liberté diffèrent de ceux d'Occident. Un aspect largement pris en compte dans le roman et qui l'étoffe d'autant, la Chine étant un acteur incontournable sur le plan mondial et mû par un appétit croissant.

Si Bernard Minier avait l'intention de priver de sommeil des lecteurs avec son nouveau livre, et bien c'est réussi. La lecture en est à la fois addictive, (trop) immersive et éprouvante tant le climat d'angoisse qu'il instaure imprègne chaque page. La tension est palpable dès le départ et ne relâche pas son emprise. Mieux vaut avoir les nerfs bien accrochés. le moral aussi, tant qu'à faire.
Comme dans ses précédents romans, on retrouve une observation des évolutions des mentalités, de la société. Plutôt peu réjouissantes et pessimistes d'ailleurs. Et qui, pour plusieurs exemples qu'il fournit ici, se vérifient hélas (harcèlement via les réseaux sociaux, haine et fanatisme désinhibés par l'anonymat d'un pseudo sur Internet, une dépendance croissante envers le numérique, etc).

Qu'il s'agisse de la psyché tordue de psychopathes ou du devenir technologique, le romancier joue avec nos peurs de ce qu'on ne comprend pas, de l'inconnu. Il le fait avec un savoir-faire redoutable d'efficacité. le comble, c'est qu'on en redemande!

M, le bord de l'abîme est assurément une réussite, palpitant, dérangeant et bien documenté. Un livre qu'on ne lâche pas; pire, qui ne nous lâche plus. le ton général est volontairement noir, et les possibilités décrites en matière numérique et d'IA ne laissent pas que d'inquiéter et donner à réfléchir. Cette lecture m'a renvoyée à d'autres qui touchent à ces sujets, romans et essais (notamment le dernier de Pascal  Picq). Je n'en ressors pas violemment anti-progrès mais pas non plus rassurée quant au devenir de l'humanité, prise dans son sens normatif comme celui d'espèce.
J'en ressors aussi comme après une longue apnée tant l'intrigue est dense.

Véritable plus à ce roman : la copieuse bibliographie (4 pages) qui reprend les dernières publications sur le Big Data, l'intelligence artificielle d'une part, Hong-Kong, la Chine et les enjeux politiques d'autre part.
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