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Critique de kielosa



Nous sommes en 2011, en plein "Printemps arabe" : en Tunisie, l'homme fort du régime, Ben Ali, s'est enfoui en Arabie saoudite ; en Égypte, le président Hosni Moubarak se retrouve en prison jusqu'en 2017 et en Libye, le chef, Mouammar Kadhafi "s'accroche au pouvoir. Il ne fuit pas, il tue." Et il a prévenu que ce sera une bataille "jusqu'à la dernière goutte de mon sang".

C'est dans ce paradis de Kadhafi en pleine guerre, qu'en février 2011, la téméraire et intrépide journaliste franco-iranienne de 37 ans, Delphine Minoui, en mission pour "Le Figaro", débarque à Tripoli, la capitale, pour un échange de vues avec le fiston Kadhafi, Saïf al-Islam. Saïf ou Seif, signifie "le glaive de l'islam". Elle est accompagnée de Borzou Daraghi, un journaliste américano-iranien, qui est là pour "The Independent".

Le dauphin du régime est architecte de formation et play-boy par vocation. Il a 2 ans de plus que Delphine. Pour la petite histoire, ce nabab a eu une affaire avec Orly Weinerman, une actrice... israélienne. Lorsque le scandale s'est ébruité dans la presse, la Orly a d'abord nié et déclaré par la suite qu'ils considéraient le mariage !

L'ouvrage de l'auteure commence par cette entrevue avec le fiston le plus connu du "guide du pays" depuis 1969, c-à-d 42 ans. Selon Saïf, le problème n'est pas le conflit, ni que la province la plus à l'est, la Cyrénaïque, soit en état de sécession. Non : le problème ce sont les mensonges de la presse, telle que les raconte la chaîne de télévision, al Jazeera, et les naïfs au Conseil de sécurité de l'ONU qui croient ces mensonges. La Libye a, sous le commandement de son sage père, enregistré des progrès grandioses, comme par exemple l'absence de corruption. C'est grâce au "fake news" que le duo de journalistes a été invité, dans l'espoir donc d'une correction. Mission impossible, bien entendu, sur la base des explications fantaisistes de Saïf al-Islam.

La Libye est un pays qui m'a intrigué depuis le renversement du roi Idris Al-Sanoussi (1889-1983), lors d'un traitement médical en Turquie, par le jeune lieutenant Kadhafi de 27 ans, sa dictature et l'isolation du pays. Il était virtuellement impossible d'obtenir un visa, sauf si l'on y travaillait, comme un voisin, Jacques, qui comme ingénieur-architecte y était sous contrat. Quand il rentrait chez lui dans les Flandres, j'étais toujours un de ses premiers visiteurs pour l'interroger sur ses expériences à "Tripoliwood".
Je me souviens surtout que les conditions de vie n'étaient guère folichonnes, les règlements en vigueur pour étrangers très stricts, mais la paie très bonne. Il est vrai que Kadhafi voulait faire de son royaume le Dubaï de l'Afrique.

Un pays de 2,5 fois la superficie de la France, mais une population d'environ 6,7 millions d'habitants seulement, soit 4 au kilomètre carré.
En 2011, sur les 6,3 millions de l'époque il y avait un million et demi de travailleurs étrangers, qui à l'arrivée de Delphine Minoui, cherchaient par tous les moyens, désespérément, de rentrer chez eux ou de fuir m'importe où. Ce fut notamment le cas des infirmières serbes et ukrainiennes.

Grâce aux grands renforts d'agents de sécurité, fidèles au "Frère Guide", les journalistes sont transportés en bus, flanqués de surveillants, qui assurent des excursions qui n'offrent absolument aucun intérêt. Partout la même mise en scène de Libyens qui chantent, déclament et expliquent les immenses qualités de leur dictateur bien-aimé. le vendredi, jour de prières, signifie pour les journalistes une interdiction de sortir de l'enceinte de l'hôtel. À l'hôpital, il n'y a que des blessés d'accidents de la route ; assurément aucun blessé par balle !

Notre correspondante réussit en catimini à parler à un chirurgien, qui lui raconte une toute autre histoire : des blessés de combats, il y en a à la pelle, avec des balles dans l'abdomen, dans les bras, les jambes... À Zaouia, à une cinquantaine de kilomètres de la capitale, les tanks de Kadhafi encerclent le centre-ville, des "cadavres jonchent le sol", les hôpitaux sont saturés, l'eau et l'électricité ont été coupées et il manque des médicaments et du pain !

En 206 pages, Delphine Minoui réussit à faire un récit captivant de ce séjour surréaliste et, comme l'éditeur Grasset l'a noté en quatrième de couverture, "comique parfois si ce n'était pas aussi une tragédie humaine". Il est vrai que son reportage et son témoignage occupent sans aucun doute une place unique parmi les ouvrages publiés sur ce long été dramatique libyen.

Je ne vais pas résumer ici les prouesses du raïs de Tripoli qui a terrorisé son peuple pendant 42 ans, moins un mois, mais juste rappeler que lui et son fils Moatassem furent tués par les rebelles fin octobre 2011. Saïf, en revanche, a été condamné à mort par contumace, a fait un peu de taule et était, en décembre 2017, candidat aux élections présidentielles !

Le style spontané et vif, tout sauf docte ou sec, de Delphine Minoui m'a séduit et je viens de me commander son premier livre, de 2009, "Les pintades à Téhéran : Chroniques de la vie des Iraniennes, leurs adresses, leurs bons plans". J'ai relevé que 2 autres ouvrages d'elle ont eu un franc succès : "Je vous écris de Téhéran" de 2015 et "Les passeurs de livres de Daraya" de 2017.

Pour celles et ceux moins familiers avec l'oeuvre et le style Minoui, je termine par sa description d'une certaine Farah, qui la quarantaine, drapée dans une longue robe verte (la couleur du régime), au visage de Joconde, "est une drôle de Castafiore libyenne qui voue un culte démesuré à Mouammar Kadhafi ".
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