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Critique de DianaAuzou


La fin des paysagesChristina Mirjol, Les Éditions du Laquet 2001*****
lecture en août 2023

Le vieil homme est las, le livre qu'il a à la main est usé, il ajuste ses lunettes, probablement pour lire mais
« ...il part, semble-t-il sans regret, et ne revient plus ». C'est le début de l'histoire, comme une fin, comme une séparation, non sans douleur.
Le livre, serait-il faux, trop usé, sans intérêt ? Des voix arrivent, chacune avec une affirmation comme une certitude pour mieux définir ce livre. La femme de celui qui est parti est présente aussi. Certitudes faibles doublées de doutes forts. Définitions sans sens, visages sans regards, polyphonie de voix sans incarnation.
« -Le doute, bien entendu. le doute. Une incapacité tout à fait radicale de continuer… Un jour, il ne supporta plus que quiconque devant lui prononça le mot livre, le mot famille, le mot maison. le mot jour, le mot nuit non plus ne signifièrent plus rien . Que s'était-il passé ?» p.11
L'interrogation est inquiétude et cette dernière appelle la détresse et la détresse se transforme en cri d'effroi et lamentation d'impuissance, litanies sans espoir de revoir la terre bleue devant la vérité cruelle d'un « Bleu. Un extraordinaire maquillage .»p.20, l'artifice c'est le nouveau naturel de l'homme.
Le livre de Christina Mirjol m'impose une lecture à voix haute et un rythme des pauses pour laisser le silence écouter l'écho des mots devenus paroles-message, prières pour que le silence ne devienne pas tombe, mais écoute, pour que les mots ne meurent pas mais transmettent une volonté, un espoir : « Rassembler les mots. Faire des listes. Puis refaire sans tarder le paysage avec. »p.26, et pour que notre insomnie soit éloignée par le retour des nuages, pour éviter la mort du monde, l'irréparable.
La suite ininterrompue d'interrogations, d'hésitations, de souvenirs perdus, de tentatives répétées de raviver la mémoire fatiguée, créent un style dont l'épure est chargée d'un poignant désespoir devant des repères perdus, du sens moribond, des têtes sans visage.
L'homme est parti, sans dire adieu. le départ, quel qu'il soit, une mort, une séparation, un voyage prolongé, une fuite ou autre, ouvre des questions qui nous obligent à les définir comme douloureuses. Elles parlent d'un secret vécu pendant longtemps, d'une présence jamais totale, d'une absence cachée mais bien présente.
Le livre de 126 pages, petit format, tient une polyphonie immense et ses échos multiples, des voix qui s'éloignent et disparaissent avec leurs hésitations et leurs chimères dans un monde pétri de certitudes.
Le questionnement grave de Christina Mirjol devant l'inéluctable fin des paysages, construit un récit en boucle fermée, un labyrinthe sans issue sur une toile de fond déchirée et décousue. Comment rapiécer les morceaux ? Peut-être faire des noeuds ? Où trouver une ficelle ? Où trouver l'envie ? A qui parler ? A qui s'adresser, et que dire ? Se plaindre, espérer, se révolter, être plaisant ou plein d'esprit ? Se venger ou pardonner ? Fractionner ou rassembler ?
Une litanie, une prière adressée… oh non, pas aux dieux, mais aux humains ! Qu'ils réapprennent à marcher sans piétiner, qu'ils retrouvent les sens de la planète bleue, de tout ce qui est vivant, qu'ils lisent et relisent tout ce qui est écrit entre ciel et terre. Ce n'est pas simple, pas compliqué non plus.
Les larmes qui coulent se font entendre, le vent qui passe dans les cils aussi, ils pleurent « le triste effacement de l'homme … plus glaçant qu'un fantôme » p.98. Il n'y a plus de pont entre aujourd'hui et demain, plus de forêt d'histoires qu'on avait l'habitude de traverser, il reste quelques vagues contours dans une tentative d'habiller un vide. « Tout est à refaire. »p.112
Christina Mirjol nous fait entendre un cri d'alarme, impuissant mais fort, une fin qui s'approche au galop par nos soins, une détresse qui s'exprime sans juger ni condamner, comme un appel, comme une urgence évidente pour que ce qui a été créé et transmis ne se transforme pas en traces fantomatiques d'un monde disparu.
Texte ciselé en toute finesse, baume et fouet à la fois.
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