AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Thrinecis


On a du mal à croire que certaines de ces dix nouvelles aient été écrites dans les années 50 à 60 : Yukio Mishima nous entraîne dans un Japon si traditionnel avec geishas, acteurs de Kabuki, rituels, croyances et superstitions, qu'il m'a parfois semblé qu'elles ne se déroulaient pas au XXème siècle.

Deux nouvelles se détachent loin devant les autres et justifient à elles seules la lecture de ce livre :
- "Patriotisme" est la plus percutante : magnifique et glaçante, écrite presque 10 années avant que Yukio Mishima ne fasse seppuku, elle met en scène la passion et le double suicide d'un jeune couple, mari et femme, follement amoureux l'un de l'autre et que la vie semble combler. Mais, lui, jeune lieutenant de l'armée impériale de 31 ans, ne pouvant se résoudre à exécuter l'ordre qu'il vient de recevoir et qui consiste à attaquer ses amis accusés de trahison envers l'Empereur, annonce à sa jeune épouse de 23 ans son intention de s'ouvrir le ventre. Elle, soumise et obéissante, à l'instar de la femme japonaise idéale, lui déclare immédiatement qu'elle le suivra dans la mort. Le couple va préparer de manière extrêmement soignée, codifiée même, leur double suicide, dans un idéal d'honneur et de pureté morale et physique où la mort se confond avec la passion. Cette nouvelle laisse supposer que bien des années avant de réaliser sur lui-même le rituel sacrificiel du seppuku, Mishima l'avait imaginé en détail, esthétisé, magnifié, glorifié.
- La nouvelle éponyme du livre, "La mort en été", aborde le drame terrible de la mort des enfants. Confiés à la garde de leur tante, les deux jeunes enfants de Tomoko se noient en mer tandis que leur tante succombe à une crise cardiaque en essayant de les sauver. Face à ce drame, les parents ne savent comment se comporter et au fil des jours qui suivent, se composent des attitudes de circonstance, des masques qu'ils croient être les plus appropriés au moment ou à leurs interlocuteurs. Avec sans doute un peu de perversité et de complaisance morbide, Mishima n'hésite pas à nous montrer toutes les phases du deuil de cette mère qui ne sait comment réagir, à la fois éperdue de douleur mais parfois d'un égoïsme confondant, qui cherche à avancer, engluée dans des sentiments et des envies contradictoires. Implacable, Mishima dissèque la lente évolution des émotions de Tomoko qui hésite entre l'oubli et la nécessité de se souvenir, qui se fustige d'avoir oublié, de rechercher du plaisir, qui s'apitoie sur elle-même et qui, pas à pas, se reconstruit aux côtés de son mari, lui, plus vite oublieux qui a choisi d'autres chemins comme ceux du travail ou de l'infidélité.

Une troisième nouvelle, sans être aussi forte et dramatique, m'a aussi beaucoup plu : "Les sept ponts" raconte le rituel de prières mené par trois jeunes geishas et une servante pour réaliser leurs voeux. Ce rituel consiste à traverser sept ponts de Tokyo en silence, sans prononcer un seul mot, tout en priant les divinités Shinto. Au cours de cette promenade un peu particulière dans Tokyo, dans la lumière du jour qui décline peu à peu, les pensées les plus inavouables des geishas nous parviennent : l'espoir de trouver un protecteur pour l'une, la folle envie d'être aimée pour l'autre, l'angoisse d'être interrompues dans leur quête et leurs prières avant d'avoir traversé le 7ème pont, leur mesquinerie et leur manque de générosité envers leurs consoeurs...

Les autres nouvelles sont plus inégales mais puisent souvent dans le registre des traditions pluricentenaires du Japon : une fable, une courte pièce de théâtre qui frôle l'absurde, une nouvelle sur l'attirance homosexuelle d'un passionné de kabuki pour un onnagata (personnage féminin typique du kabuki toujours interprété par un homme)...

Challenge Multi-défis 2020
Commenter  J’apprécie          120



Ont apprécié cette critique (10)voir plus




{* *}