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Critique de oblo


Quatre ans ont passé. Les émigrants sont devenus des pionniers. Suédois, ils le sont toujours un peu, et sans doute le resteront-ils pour toujours. La ferme de Karl Oskar et Kristina, sur les bords du lac Ki-Chi-Saga, a prospéré. Tout y pousse, céréales et légumes, tandis que le nombre de poules, de vaches et de porcs a crû naturellement. D'un point de vue matériel, l'émigration est un succès. La famille s'est agrandie également d'une petite Ulrika et Kristina se trouve à nouveau enceinte. le quatrième tome de Vilhelm Moberg est le plus reposant pour les Suédois de Ljuder, hormis pour l'un d'entre eux, pour qui ce tome est synonyme de désillusion. Surtout, le lecteur assiste à la naissance d'une nouvelle société.

Les rives du lac ont été rapidement colonisées. Les parcelles, enregistrées par le bureau foncier, résonnent du bruit des haches et se couvrent de bâtiments à l'usage des hommes et de celui des bêtes. Suédois de Scanie, de Småland ou d'Östergötland transforment le paysage de leur nouveau pays, et la démographie ne fait qu'augmenter, année après année. Cependant les liens avec le pays d'origine demeurent vivaces. Kristina continue de penser à la Suède comme "son" pays, tandis le Minnesota est pour elle un pays étranger. Une gazette américano-suédoise leur rapporte les nouvelles de l'Ancien et du Nouveau Monde, et le lien est aussi maintenu par les échanges de lettre. Les années passant, une nouvelle société voit le jour et commence à s'organiser. Les voisins s'entraident, se réunissent, tâchent de créer un nouveau corps politique. Et pour cause : nul roi, nul évêque, nul lieutenant ici pour donner l'impulsion à la vie sociale. Si les pionniers n'ont personne qui puisse voler le fruit de leur travail, ils doivent aussi se comporter en hommes et femmes libres, et prendre l'initiative de l'organisation de la vie de la société. Les colons suédois parlent ainsi de construire une église, puis une école. Au grand dam des Nilsson qui s'aperçoivent, parfois, que de Suède, certains ont aussi rapporté le goût de la querelle religieuse. Ainsi leurs nouveaux voisins, les Olausson, tentent-ils de mettre fin à la relation amicale entre Kristina et Ulrika, devenue baptiste par son mariage. Ainsi va la société : là où il y a des voisins, il y a des querelles de voisinage. Enfin, cette nouvelle société, naissante, a accéléré la disparition des habitants originels. La tête d'Indien de grès rouge, dominant le lac, en est le témoin privilégié : les hommes qui ont, de temps immémoriaux, occupé les lieux ont laissé la place à l'homme blanc, avide de terres et de richesses.

Les hommes transforment l'Amérique, mais l'Amérique transforme aussi les hommes. L'exemple le plus marquant du livre est naturellement Robert, le frère cadet de Karl Oskar. Parti à la recherche de l'or en Californie, le voilà qui revient un soir, visiblement malade, édenté et étonnamment taiseux. Arvid, son compagnon, n'est pas avec lui. Plus troublant encore, Robert rapporte quatre mille dollars, qu'il offre à Karl Oskar et Kristina. Mais la méfiance du frère aîné est de mise. Au travers de récits contés par l'oreille malade De Robert - qui est en fait sa conscience -, le récit se détourne du Minnesota et évoque la fièvre de l'or jaune qui poussa, au milieu du dix-neuvième siècle, des milliers de candidats à la richesse sur les routes traversant les Grandes Plaines et les Montagnes Rocheuses. Parti donc donc quête de l'or, Robert s'est surtout trouvé lui-même. Lui qui pensait s'enrichir pour ne plus avoir de maître constate, dans une désillusion atroce, que l'homme marche toujours sous la férule d'un maître : physique comme le maître de ferme ou le lieutenant du roi, psychologique comme la bonne ou la mauvaise conscience, ou comme la recherche éperdue de l'or. Celle-ci asservit les hommes aussi sûrement que les maîtres de la Suède. Elle pousse les hommes aux comportements les plus amoraux, comme le rapporte Robert à sa belle-soeur. Robert revient changé, irrémédiablement. Entre le troisième et le quatrième tome, Robert a brusquement vieilli. A vingt-deux ans, il n'a déjà plus espoir en l'avenir, ayant douloureusement compris la minuscule taille de l'homme par rapport à son gigantesque destin.
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