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Critique de CorinneCo


Pour ce livre je ne sais pas par où commencer. Ce petit livre ressemblant à quoi ? une enquête, des souvenirs, une réflexion historique, philosophique, personnelle, un chassé-croisé de ressentis ; ce petit livre donc qui peut aussi ressembler à une errance à travers la mémoire ; la mémoire collective, la mémoire de l'auteur, la mémoire d'une ville, la mémoire anonyme... Dora Bruder est entrée dans ma mémoire personnelle. Je ne peux commenter ce livre qu'en en parlant. Quand Modiano parle de l'étoile jaune un souvenir m'est revenu. La mère d'une de mes amies me montrant un soir chez elle, devant sa fille que j''étais venue chercher pour sortir, alors que nous bavardions de tout et de rien son étoile jaune qu'elle avait gardé. Celle qu'elle avait porté enfant (7 ans) dans Paris. On ne parlait pas du tout de ça et je ne m'y attendais pas. Ce qui m'a frappée d'emblée ce fut la grandeur de l'étoile. Je ne sais plus ce que la mère de mon amie m'a dit. Et puis elle a rangé l'objet. Moi je n'ai rien dit, je crois que je ne savais pas trop quoi dire. Je connaissais l'histoire familiale en pointillé, je savais que cette femme enfant avait échappé aux rafles en étant envoyée à la campagne par ses parents. Cette femme que je connaissais peu, sympathique, que je trouvais toujours un peu "fébrile" qui ne parlait jamais de la guerre, de ce qu'avait subi sa famille, m'avait soudain ouvert une page de sa vie intime et douloureuse, de sa vie d'enfant caché. Et puisque le livre parle de la période 41 et 42, cela m'a aussi fait penser à une réunion où j'étais avec cette même amie. Plutôt un petit "apéritif" après une expo, très peu de monde, nous étions les plus jeunes, cela en amusait plus d'un. A côté de moi, un homme vraiment grand, massif, imposant, franchement rigolard. Un autre parlait de lui en tant qu'ancien déporté d'Auschwitz, juif polonais ayant fait partie des rafles des juifs étrangers à Paris. Et lui évacuait cela d'un mouvement de la main en riant. Dora Bruder me fait penser à ces deux frères, dans cette même soirée qui nous ont parlé à mon amie et à moi. En 42 ils devaient avoir l'âge de Dora Bruder. Juifs français, style "vieille France", très courtois avec des manières un peu surannées. Famille française depuis longtemps, ils parlaient de leur arrestation en 42 et leur déportation encore outrés comme si on leur avait fait une blague de très mauvais goût, eux français à 200%. Ils en parlaient avec dégoût sur un ton très distingué et calme. Ils nous avaient donné leur carte de visite en nous disant de venir boire le thé à leur galerie d'art, ravis que deux jeunes filles attentives et un peu trop silencieuses (à mon goût) soient là et s'intéressent à cette période et à ceux qui en étaient la survivance. Quand nous sommes parties de cette exposition, mon amie et moi avons marché un instant en silence. Mon amie m'a dit :
- tu iras prendre le thé chez eux ?
- bien sûr. Ça m'intéresse de voir leur galerie et je les trouve charmants.
Et aussi parce que j'avais peut-être vu dans leurs yeux bleus à tous les deux le passage des fantômes qui réclamaient leur part d'écoute et de paroles. Voilà à quoi m'a fait penser la lecture de Dora Bruder. Et ne pas parler de ces expériences personnelles par rapport à la lecture de ce livre n'auraient eu aucun sens à mes yeux et auraient sonné étrangement. Modiano arpente sa mémoire fantomatique, sa mémoire vive et déchirée, sa mémoire quadrillée comme un cadastre. Et redonne substance aux mémoires oubliées, enfouies et désertées. En parlant de Dora Bruder il parle de toutes celles et tous ceux disparus, dont il ne reste parfois rien, comme si leur vie avait été une abstraction cosmique. Ce petit livre renferme des milliers et des milliers d'âmes.
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