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Critique de fabienne2909


En 1989, l'épidémie de VIH bat son plein, notamment dans la communauté gay qu'elle décime. Judith Moffet, inquiète pour ses proches amis, extériorise son angoisse dans cette novella, intitulée Tiny Tango, et qui a été pressentie pour les prix Hugo, Locus et Nébula, récompensant toute trois des oeuvres de science-fiction. Si ce récit d'anticipation a presque quarante ans, il reste étrangement intemporel, tant pour les sujets traités que dans la perception sociétale que décrit l'autrice.

« Tiny Tango » se déroule dans l'Amérique de la fin des années 1980. Une jeune biologiste découvre qu'elle a été infectée par le virus du sida, ce qui anéantit sa vie, brise net son ambition de faire carrière dans la recherche scientifique. En effet, le virus, dans cette Amérique de fiction, mais pourtant étrangement crédible (on pourrait faire un parallèle avec les cliniques actuelles procédant à des avortements), effraie la population au point de créer des émeutes, des chasses à l'homme contre les personnes infectées. La narratrice échappe par chance à ces purges, et décide de mener une vie discrète, incognito, marquée par une extrême solitude, sentimentale comme sexuelle, tant elle souhaite, pour survivre le plus longtemps possible dans l'attente d'un traitement, s'épargner tout stress et toute implication émotionnelle. Heureusement, elle est soutenue par son groupe de discussion entre personnes contaminées, ce qui lui permettra d'entretenir quelques liens avec d'autres personnes, mais rien de vraiment nourrissant, ce qui lui donne l'impression décourageante de vivre en morte-vivante. C'est pourquoi, après quelques années passées à construire une vie stable mais à la monotonie quasi-monacale, elle cherche à donner un sens à cette vie en suspens : ce sera, dans un parallèle curieux mais compréhensible, dans la recherche d'un croisement de melons destiné à les rendre résistants au virus transmis par la chrysomèle rayée du concombre.

Ce roman d'anticipation imagine ainsi comment la recherche va évoluer, même si l'autrice a choisi l'option pessimiste, celle d'un vaccin plutôt que d'un traitement, évolution qui protège les personnes non infectées mais continue d'ostraciser les personnes qui le sont. A travers cette histoire frappée par le fléau du VIH, fondée sur la vraie trajectoire de ce virus et de la recherche, mais marquée forcément par un certain défaitisme, en premier lieu celui de la narratrice qui se sait condamnée malgré tous ses efforts, Judith Moffet me semble porter une critique de la société consumériste et individualiste d'alors – celle de Ronald Reagan – qui sépare les hommes les uns des autres, mais surtout de la nature qui est asservie dans une optique productiviste, et contre toute logique écologique (dont on paye le prix de nos jours).

Roman d'anticipation ne va pas toujours avec science-fiction, mais ici celle-ci fait irruption d'une manière assez étrange et mal ficelée : les Hefn, des extra-terrestres, vont et viennent sur Terre (les conditions dans lesquelles ils le font n'est pas tellement explicitée), non pour envahir cette dernière, mais plutôt pour la sauver, elle qui sera frappée, après la maladie, par une catastrophe supplémentaire. Sans révéler de quoi il s'agit, ça commence à faire beaucoup, même si on comprend sa symbolique. Si cette orientation science-fictionnelle est plutôt légère, je ne l'ai pas tellement comprise et m'a semblé arriver comme un cheveu sur la soupe. Cette novella n'en avait pas vraiment pas besoin, et cela ne m'a pas convaincue. Je suis assez peu portée sur ce type de récits, justement en raison du resserrement narratif qu'il impose et qui ressort comme une imperfection quand c'est mal fait, comme c'est le cas ici : il y a beaucoup d'ellipses, de faits que le lecteur doit accepter comme telles, si par chance elles sont détaillées plus tard : qui sont les Hefn ? Pourquoi sont-ils là ? La fin de la novella est donc traitée assez rapidement, ce qui a été frustrant.

En outre, la froideur et le détachement de la narratrice, même s'ils sont compréhensibles, ne m'ont pas permis de m'attacher à celle-ci, et le vernis de science-fiction qui a été passé par la narratrice m'a désagréablement surprise : le VIH était un sujet grave à l'époque où le texte a été écrit, et suffisamment marquant. Pourquoi le dénaturer avec des extra-terrestres ? La vérité doit être ailleurs…

Merci dans tous les cas à Babélio et aux éditions le passager clandestin pour cet ouvrage reçu dans le cadre de la Masse critique Mauvais genres.
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