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Critique de VincentGloeckler


« Ils marchent le long du lac, et on prend l'air avec eux. C'est plaisant de s'imaginer ces terres vastes, la ligne ondulée des montagnes, cette frange d'arbres aux feuilles à peine bruissantes, ce reflet du ciel dans l'eau, ça ouvre quelque chose dans l'espace réel dans lequel on se trouve, ça crée comme un second espace plus grand, plus ample, et disponible, dans lequel on a tout de même un peu le sentiment de se promener.
Oh, l'espace préservé que c'est, un livre, dans lequel on peut évoluer à notre aise, sans masque ni gel, juste à y barboter gaiement, impunis et libres, tout en nous souvenant de nos heures, de nos joies et de nos peines, de ce qui nous constitue, de ce à quoi on tient, les sensations du monde. »
(pp.88-89)
On ne quitte jamais un livre de Christine Montalbetti que pour en attendre un autre, avec l'espérance toujours d'un bonheur renouvelé, toujours trop éphémère quand on tourne la dernière page. Et ça n'a pas manqué avec le Relais des amis, peut-être parce que ce dernier roman évoque davantage encore que d'autres textes de l'auteure les pouvoirs extraordinaires de la fiction, ce territoire que l'auteure ne cesse d'explorer avec légèreté, tendresse et allégresse, nous invitant à chaque fois, hôtesse généreuse, à partager l'aventure.
le Relais des amis, c'est d'abord le nom d'un bar où Simon, le premier personnage du texte, un romancier en quête d'une phrase inaugurale d'où découleraient, avec une « énergie joyeuse », toutes les autres, où Simon, donc, se réfugie pour trouver l'inspiration, près d'une plage de la côte normande. Un lieu de rencontres, où s'ébauchent déjà, autour du comptoir, des histoires même lorsque ce ne sont que celles, plutôt banales, des habitués (mais, et c'est tout l'art de Christine Montalbetti, avant même et après cette merveille de récit, La vie est faite de ces toutes petites choses (P.O.L,2016), que de magnifier le plus modeste sentiment, geste ou objet du quotidien, par la magie de son écriture), un lieu évidemment, comme son nom l'indique, où se nouent des relations fraternelles, mais assi le point de départ, lorsque finalement on quitte le café pour suivre d'autres protagonistes - Frédo et son apprenti Mathieu, bientôt remplacés par Lorette, l'agente immobilière et son client, puis par Rémi le taxi et ses passagers, le couple Worcester, puis par Lola, leur voisine de wagon, ah Lola !, puis par…, et par…- d'une véritable course de « relais », justement, dont le bâton passera de mains en mains, de personnages à personnages, jusqu'à la fin du texte. Ainsi progresse ici la narration, illustrant les privilèges de la fiction, avec des débuts d'histoires qui s'enchaînent les unes aux autres, qui s'enchâssent les unes dans les autres, comme naturellement, dans un marathon (et la durée de lecture du texte est peut-être, d'ailleurs, proche de la moyenne de celle de cette épreuve mythique… mais on peut lire aussi plus doucement !) plein de vigueur. Avec des passages de relais multiples et divers, parfois occasionnés par des personnages canins de passage, une mouette en mal d'océan, voire un simple papier d'emballage froissé au pied d'une table, quelquefois aussi par une simple association d'idées ou, après avoir laissé faussement le choix de la direction au lecteur, la décision magistrale de l'écrivaine-reine. Et, loin de rester au bord de la route, simples témoins, Christine Montalbetti, comme à son habitude, nous invite, lecteurs, à participer activement à l'odyssée, questionnant avec espièglerie nos connaissances et la qualité de notre regard, et s'installe elle-même constamment dans son texte, pour mieux tirer, l'air de rien, les ficelles des héros de son petit théâtre.
Malice de Christine Montalbetti, adorable malice, oui, ou même charmant culot et belle insolence, d'une écrivaine qui peut, ici, « pauvre bichou », prendre pitié d'un mégot écrasé, là, comparer la forme d'une goutte de pluie écrasée sur la vitre d'un wagon à un spermatozoïde en goguette, ou bien encore, ailleurs, laisser un cocker mélancolique méditer face à un défilé de chaussures… Une Christine Montalbetti qui en profite aussi pour nous emmener au bout du monde, réviser la géographie, de la Normandie de Trouville aux Etats-Unis des « Romans américains », de ces oeuvres antérieures, mais aussi nous ramener vers ses territoires plus intimes, lorsque l'on retrouve, au détour d'une page, le mérou qui apparaissait au début de cette biographie fantasque de [S/Mon] ancêtre Poisson (P.O.L, 2019). Et, non, on ne spoile rien, l'histoire, au bout de ses méandres, ira peut-être jusqu'à une fin paradoxale, happy-end qui serait en même temps le signal d'un début de dépression des lecteurs, sinon de l'auteure elle-même, obligés de quitter tous ces nouveaux amis, de lâcher le bâton de ce relais de fantaisie, pour retourner à la grisaille de la réalité… Mais, haut les coeurs, n'en doutons pas une seconde, la fée Christine ne tardera pas à le ramasser, lui rendant ses vertus de baguette magique ! Yes, Christine, et n'hésitons pas ici à user d'un anglais énergique puisqu'elle est elle-même si souvent polyglotte, don't let us down without your stories, play them again… L'écriture, la lecture, Reine Montalbetti, et cette belle amitié que tu tisses toujours entre toi, tes personnages et tes lecteurs, la vie quoi !
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