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Critique de Nastasia-B


Cet ouvrage du XVIe siècle, à l'origine d'un nouveau genre littéraire, est composé de deux parties bien distinctes : le livre premier, qui est — en gros — une critique assez juste et assez justifiée du régime monarchique anglais et, partant, européen, puis d'un livre second, qui constitue la véritable innovation littéraire, en proposant, par le biais de la fiction, ce qui est, en réalité, un projet de réforme politique.

Thomas More était un érudit, humaniste, conseiller du roi, etc. et tous les autres titres ronflants que l'on peut ou veut y accoler, mais c'était aussi et surtout un juriste et un fervent pratiquant du christianisme catholique, qui a longuement hésité à entrer dans les ordres (la question du protestantisme ne se posait pas encore à son époque car il était contemporain de Luther).

Cette double influence — juriste et ferveur religieuse — transparaît à peu près partout dans L'Utopie, pour le meilleur et... pour le pire (notamment la longue et ennuyeuse partie religieuse à la fin du livre second). Sous couvert de prétendre être le récit d'un voyageur ayant vécu un certain temps sur cette lointaine île en forme de croissant de lune qu'est Utopie, Thomas More explicite ses propres aspirations sociales dans ce qui n'est, ni plus ni moins, qu'un manifeste politique.

Je le suis à 100 % lorsqu'il fustige la conduite vénale et malhonnête de l'état par les monarques en place (il avait personnellement côtoyé Henri VII et écrit son livre sous Henri VIII, qui le fera mettre à mort par la suite, mais pour des raisons autres, notamment matrimoniales). Globalement, si l'on les recontextualise, je suis à peu près d'accord avec lui sur les critiques, c'est-à-dire sur le livre premier.

En revanche, dès lors que Thomas More se met en peine de chercher des solutions, j'ai parfois le sentiment de lire le programme politique version ultra hard core d'un bon vieux dictateur à la Staline, d'une pétromonarchie ou d'une république bananière des plus féroces. Prenons un exemple. Voyons, voyons... deux adultères consécutifs ? Bing ! peine de mort, rien que ça ! (Et ce n'est qu'un exemple prélevé parmi beaucoup d'autres.)

En gros, ce qu'il nous propose, c'est une vie communautaire et monacale où tout, absolument tout, est réglementé, où la liberté n'existe plus, où l'on vit dans une sorte d'open space permanent, où toute déviance est sanctionnée d'exil, d'esclavage ou de peine de mort, où l'état ne s'interdit pas de faire de l'ingérence à l'étranger, et tout ça, à chaque fois « pour la bonne cause ».

Vous naissez, vous vous éduquez d'une certaine façon (décidée par une autorité supérieure), vous apprenez un métier, vous bossez sans créer de problème, vous vous mariez, vous procréez juste ce qu'il faut, vous êtes loyal(e) en tout, vous avez les loisirs autorisés, c'est-à-dire, juste la possibilité de lire sur votre temps libre, pour toute chose, vous vous en référez à ceux qui auront été désignés comme « sages » et, bien entendu, vous avez une pratique religieuse irréprochable.

Je ne sais pas pour vous, mais en ce qui me concerne, ce projet de société ne me fait pas plus saliver que ça, c'est même plutôt l'inverse. Au prétexte d'éradiquer le vice, on éradique à peu près tout ce qui fait le sel de la vie à mes yeux (tuez-les tous et Dieu reconnaîtra les siens), d'où mon appréciation assez mitigée (voire un peu en-dessous).

Bien entendu, d'un point de vue historique et des idées, c'est une lecture intéressante, mais, selon moi, cette utopie est déjà, en soi, une sorte de dystopie à la 1984, à laquelle, je ne me sens aucune volonté de souscrire, sauf quand elle dénonce les excès d'un système monarchique inique, tel qu'il pouvait l'être en Angleterre et en Europe au début du XVIe siècle. Nonobstant, gardez à l'esprit que cet avis — cette utopie — n'étant que mien, il ne signifie manifestement pas grand-chose.
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