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Critique de Domichel


1495 - Tandis que de l'autre côté de l'Atlantique a commencé la conquête géographique et religieuse la plus importante de notre ère, en Italie du nord, un jeune garçon de huit ans, Aurelio, découvre la beauté - pense-t-il - à l'état pur. Au coeur de la cathédrale de Bologne, la statue de marbre d'un ange a capté son attention au point qu'il en a perdu toute conscience du monde extérieur, et du temps, et qu'il se retrouve seul, ou presque, alors que son père et son frère ont quitté l'édifice.
Un homme étrange et pauvrement vêtu s'approche de lui et débute une discussion sur la sculpture, ses qualités pour l'un et ses défauts pour l'autre.

1508 - Les guerres de conquêtes pour un état pontifical unifié font rage et des grappes de mercenaires se vendent au plus offrant. À Forli, Aurelio, vingt ans, qui a déjà perdu son père de maladie, voit s'approcher quelques-uns de ces soldats d'un jour, en quête de rapines, de nourriture et de plaisir vite volé. Les horreurs dont il sera le témoin impuissant, achèveront de le convaincre que son destin est ailleurs ; délaissant une vie de paysan, il décide de rejoindre Rome pour se consacrer à la sculpture, dont il rêve depuis plus de dix ans, et ce auprès du maître qu'il s'est choisi : Michelangelo Buonarroti. Après un voyage d'une dizaine de jours en compagnie de Margherita, jeune femme croisée en chemin et partant vivre sa vie de courtisane, Aurelio arrivera presqu'aussitôt à se faire accepter comme apprenti par le Maître, fasciné par sa beauté et son entêtement.

Ce pourrait être le début d'un simple roman biographique consacré au sculpteur de la Pietà, de David ou encore de Moïse, mais le Pape “Terribile” Jules II en a décidé autrement. Sur les conseils (jaloux) de l'architecte Bramante en charge de la construction de la nouvelle basilique Saint-Pierre, et soutenu par le peintre Raphaël qui, lui, doit orner les appartements du Saint-Père, ce dernier commande à Michel-Ange de décorer la voûte de la Chapelle Sixtine, d'une fresque consacrée à la Bible et plus particulièrement aux Apôtres. Michel-Ange ne peut accepter cette commande, il est sculpteur, pas “fresquiste”, et reconnaît bien là l'influence de ses deux adversaires sur le Souverain Pontife. Mais rien n'y fera, Jules II reste inflexible et Michel-Ange devra se soumettre à sa volonté.

Commence alors un récit écrit de main de maître par Leon Morell. Mêlant quelques personnages de fiction aux très nombreux personnages réels, ce qui aurait pu n'être qu'une description laborieuse des techniques d'échafaudages, d'enduits, d'apprêts, de peinture, dans des conditions épouvantables, des températures insupportables entre étés et hivers successifs, devient un roman au suspense époustouflant.
Depuis la création de la “bottega”, sorte de refuge où se retrouvent les compagnons d'Aurelio et du maître, pour manger et dormir, en-dehors des interminables heures de travail, jusqu'à la préparation des enduits (“arriccio” “intonaco”), au broyage des pigments nécessaires à la peinture, tout nous est décrit avec un soin particulier. Les affres de la création du maître, les disputes entre compagnons, la vie des Romains en ce début de XVIe siècle, les escapades amoureuses d'Aurelio, son dévouement et sa fidélité sans faille à Michel-Ange, rien ne manque à ce texte de seulement six-cents pages. Et si on y ajoute les complots, les secrets du Vatican, les guerres de Jules II qui s'éternisent, ses amours, et quelques ingrédients dont je ne vous dirai rien, sinon qu'ils prennent une place particulièrement importante dans le récit, lui conférant un supplément de mystère, on ne voudrait pas s'arrêter de tourner les pages.
Tout au long de la lecture, et pas seulement au final, on est saisi par la concision de l'écriture, le choix toujours juste du mot, et la documentation extraordinaire qu'il a fallu rassembler, pour insuffler à ce roman une part de spirituel, un peu comme Dieu touchant du doigt Adam pour lui donner vie. On s'étonnera moins qu'il fallut à l'auteur autant de temps qu'à Michel-Ange pour façonner leur oeuvre respective.

On ne peut s'empêcher de penser bien sûr à Ken Follett et aux “Piliers de la Terre”, d'ailleurs la quête du “spirituel” qui utilise toutes les ressources du “matériel”, est un véritable trait d'union entre les deux ouvrages. Toutes proportions gardées, si le livre de Follett (hormis le prologue) se passe sur dix ans (1135-1145), celui de Morell ne couvre qu'une période de quatre ans (1508-1512)*. Cependant avec presque le double de pages, le premier se montre beaucoup plus bavard, avec son lot de batailles et de destructions répétitives, tandis que le second se concentre sur la réalisation de la fresque, sans omettre les descriptions de l'environnement historique et humain, et surtout sans jamais prendre le risque de l'ennui.
Dire que ce livre atteint des sommets serait un peu facile, d'ailleurs l'auteur s'affranchit de l'architecture de son sujet en parlant du Ciel et non du plafond de la Chapelle Sixtine. Dire également que j'ai été emballé paraît superflu et réducteur, j'ai été littéralement transporté, et même si je ne suis pas un amateur éclairé de peinture ou de fresques, modestement je partage avec Michel-Ange au-delà de mon prénom, mes préférences pour la sculpture…

Un moment de lecture inoubliable, qu'on aurait aimé voir se prolonger.

*Un petit détail (de taille) à l'attention de l'éditeur. Il semble que l'auteur du résumé n'ait pas été très attentif lors de la rédaction de son texte, ou de la lecture de l'ouvrage. En effet en quatrième de couverture il est mentionné : “Au printemps 1598, le jeune Aurelio…” Or, s'il avait vécu jusqu'à cette date, le “jeune” Aurelio aurait eu 110 ans, ce qui fait une coquille respectable de 90 ans ! Il fallait lire bien sûr : “Au printemps 1508…”
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