AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Luniver


En 1969, une rumeur se propage dans la ville d'Orléans : des jeunes filles seraient droguées dans des salons d'essayage de commerçants juifs pour être vendues comme prostituées dans des réseaux de traite des Blanches. La rumeur prend une telle ampleur qu'un week-end, des attroupements se forment devant les magasins incriminés pour dissuader les clients potentiels d'entrer. Les commerçants reçoivent des coups de téléphone haineux ou se font apostropher dans des lieux publics.

Difficile d'imaginer comment toute une population d'une ville moderne et « équilibrée » puisse se laisser prendre par une telle histoire. le récit de base est déjà boiteux (les policiers auraient sauvé une jeune fille, mais laisseraient curieusement les coupables en liberté), mais des histoires encore plus délirantes apparaissent (les filles sont évacuées par des réseaux souterrains, puis par sous-marins).

Edgar Morin a mené l'enquête peu après les faits, et dégage trois conditions de propagation de cette rumeur : selon les théories freudiennes, la situation est source de fantasme (nudité dans des lieux semi-publics, fantasme du viol) ; les boutiques concernées vendaient des vêtements modernes : source de craintes, de promesses liées à l'émancipation de la femme ; et la présence d' »agents doubles » en la personne des juifs, qui étaient trop biens assimilés pour être tout à fait honnêtes (les commerçants « typés » (accent prononcé, peau mate, …) n'ont pas été visés). Les poncifs habituels (immoralité, prêts à tout pour l'argent,...) fournissent les mobiles.

Il constate également qu'une fois cette rumeur détruite, une multitude d'autres ont fait leur apparition : on a peut-être exagéré mais « il n'y a pas de fumée sans feu » ; complots fascistes ; complots de commerçants jaloux ; voire même complots de la part des commerçants juifs eux-même pour se faire de la publicité et se victimiser. La boucle est bouclée !

On peut regretter qu'Edgar Morin ne donne pas beaucoup de réponses. Il décrit seulement les faits qui se sont passés à Orléans, mais le besoin d'une théorie plus générale qui pourrait expliquer toutes les rumeurs ou décrypter les mécanismes se fait sentir. Pour quelle(s) raison(s) les gens transforment systématiquement leurs sources en « la mère d'une amie a parlé au policier qui ... », « la cousine de ma voisine le tient de l'infirmière qui a constaté... » ? Pourquoi ce décalage entre les croyances (les commerçants véreux) et les faits (on continue à fréquenter la boutique, mais accompagné, personne n'appelle la police) ? Malheureusement ces questions n'auront pas de réponses, ce qui rend ce livre au final assez décevant.
Commenter  J’apprécie          196



Ont apprécié cette critique (17)voir plus




{* *}