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Critique de Silentum


Les oeuvres littéraires de William Morris (1834-1896) ont longtemps été introuvables en français. Avec cette intégrale d'une de ses romances publiée par l'éditeur Aux Forges de Vulcain, c'est un manque qui vient enfin d'être comblé. Et c'est un bel ouvrage, incluant les illustrations originales de Morris au début des tomes et des lettrines en tête de chapitre. Certes le grand format rend l'objet peu pratique à transporter (sur la 14 entre une oeillade à la rousse qui vient de monter à Châtelet et la brune qui descendra à Madeleine, c'est difficile...), mais c'est le genre de livre qu'on a plaisir à tenir entre ses mains.

Si Morris est connu en France, c'est jusqu'ici probablement plus pour ses activités non littéraires, et il faut dire que dans son cas, il y a de quoi faire! Imprimeur, peintre, dessinateur, designer textile, architecte, activiste socialiste... oui, Morris fut tout cela, en plus d'être écrivain. Inutile de dire qu'il n'y a pas d'équivalent français à cette époque, ni même à d'autres. Mais toutes ses activités découlent d'une volonté plus large de ne pas séparer l'art et la technique, d'insuffler de la beauté dans une époque déjà trop matérialiste à laquelle Morris oppose une utopie socialiste. Les préraphaélites dont Morris fait partie ne sont pas tant critiques envers Raphaël (leurs avis sur le maître italien n'étaient pas forcément défavorables) qu'envers la Renaissance qui pour eux a commencé à faire diverger l'art et la technique. Ils trouvent en revanche dans le Moyen-Age une époque idéale où l'art se confondait quasiment avec l'artisanat. En cela, ils s'inscrivent clairement dans une filiation romantique, avec peut-être cette particularité que le romantisme anglais n'avait jusque-là jamais vraiment été une expérience collective comme cela fut le cas en Allemagne. Morris trouva en Dante Gabriel Rossetti et Edward Burne-Jones (dont une des toiles sert de couverture au présent livre) ses plus proches amis et admirateurs.

Ceci pour montrer que le goût de Morris pour le Moyen-Age ne vient pas de nulle part.
La Source au bout du monde est une romance (par opposition au novel qui en anglais désigne le roman "réaliste") qui prend place dans une géographie imaginaire ou en tout cas non identifiable au premier abord. Cela vaut à Morris d'être présenté comme le père de la fantasy et comme celui qui inspira Tolkien (et malheureusement, presque que comme l'inspirateur de Tolkien). Pourtant la volonté de Morris de faire genre est moindre que chez les auteurs de fantasy ultérieurs, la magie discrète (alors que même chez Tolkien elle est assez rare), le cynisme absent, l'action parcimonieuse... Morris s'adresse à des lecteurs patients. Néanmoins la Source peut plaire à différents publics.
Ce qui demande éventuellement un temps d'adaptation, plus que le genre, et qui pourtant ne m'avait pas marqué lorsque j'avais lu le premier tome, c'est sans doute le ton des dialogues qui semble égal d'un protagoniste à un autre, indifférent suivant les personnages. Ce ne semble pas résulter d'un manque de caractérisation et n'est pas non plus un effet de traduction, Anne Besson le mentionne en préface et si c'était le cas je pense qu'elle l'aurait dit. Je ne sais pas vraiment ce que j'en pense, mais je n'avais jamais vu ça ailleurs. Très étrange et pour le moins déconcertant.
On y trouve deux figures féminines (réminiscence novalissienne peut-être) qui accompagnent successivement le héros, une fière et altière avec un zeste de sensualité pas désagréable, l'autre incarnant davantage la jeunesse.
Le deuxième tome fait la part belle à des aventures plus masculines où le héros est confronté à des difficultés. le troisième a tout pour susciter le dépaysement. La Grande Muraille par ses proportions dantesques pourra évoquer le Mur de Game of Thrones ou les Montagnes Hallucinées de Lovecraft et le désert de roche en fusion un Mordor avant l'heure. Vu la qualité de certaines de ces descriptions, on peut même regretter que Morris ne se soit pas laissé plus aller en la matière, quitte à risquer la comparaison avec ses épigones, surtout que le troisième tome est assez réduit par rapport aux autres.
Enfin le quatrième tome est un retour au pays qui déjà avant Tolkien ne se fera pas sans quelque difficulté, mais là encore l'auteur trouve sa voix propre.

La Source au bout du monde est frappant de simplicité dans le ton et la narration, mais par un savant jeu d'opposition (les tomes 1 et 3, 2 et 4 se répondant mutuellement) et de confrontation, il parvient à laisser une impression durable dans l'esprit du lecteur.
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