AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de LaBiblidOnee


Emerveillement - exaspération - Emerveillement
.
Très dur de parler d'un roman qui nous a fait passer par plusieurs états opposés.
.
On part sur un roman noir (ne surtout pas s'attendre à un roman policier) : la femme de Wahhch Debch s'est faite tuer d'une façon aussi atroce qu'originale, laissant penser que, décidément, l'Homme soi-disant civilisé n'est rien de plus qu'un animal sauvage… Mais en réalité, l'Homme n'est-il pas plus sauvage que l'animal ? La noirceur de son âme se révèlera en effet plus barbare que celle de nos amis les bêtes. C'est le constat que nous ferons dès que Wahhch se lancera à la poursuite du meurtrier, grâce au mode de narration choisi par l'auteur qui fait toute l'originalité du récit. Car sa quête nous sera contée par…? Les animaux qui observent chaque scène ! En tentant de reconstituer les personnalités et actions des personnages pour avoir le fin mot de cette histoire, nous ne pourrons que comparer leur innocence et leur relative bienveillance envers l'humain, face à la violence gratuite que nous infligeons à notre propre espèce - et aux autres.
.
Bien sûr, nous introduire dans les pensées supposées et imaginaires d'animaux bienveillants demeure un parti pris anthropomorphiste de l'auteur. C'est néanmoins assez réussi, à la fois apaisant et ludique : les chapitres portent le nom latin de l'animal qui raconte ; le narrateur animal change tout au long du livre selon quelle espèce assiste à chaque scène, allant de l'abeille au loup en passant par la chauve-souris, le chat, le corbeau, la fourmi, le cafard, ou même le singe etc… On peut s'amuser à deviner quelle espèce raconte rien qu'aux tics de langage ou aux indices d'attitudes ou de mouvements que l'auteur nous glisse dans son verbiage. J'ai par exemple souri au poisson qui oublie ce qu'il vient de vivre trois secondes plus tôt, au canari qui ne cesse de chanter, au corbeau qui lorgne sur le cadavre lors de l'enterrement etc… J'ai également adoré la pédagogie de chaque animal nous contant des scènes humaines avec, somme toute, une grande bienveillance alors même qu'il ne saisit pas tout. J'ai même eu un coup de foudre pour le passage avec les chauves-souris dans la grotte, tout à fait incroyable.
.
L'auteur met une belle sensibilité dans ces récits. Ces moments, que j'ai failli qualifier de bourrés d'humanité alors que le compliment serait peut-être plutôt de les dire bourrés d'animalité, vont délicatement parvenir à faire passer au second plan les horreurs qui sont commises par les hommes ou, du moins, à les atténuer par la perception de chaque animal qui ne va pas focaliser sur l'horreur mais décrire tout ce qui l'entoure et constitue chaque scène. C'est à la fois un point positif, parce que ça rend ce roman lisible même aux plus sensibles ; Mais en même temps, c'est peut-être à cause de cela que le roman ne m'a pas toujours passionnée. L'action est lente, atténuée, comme ouatée par le prisme de chaque animal et la fragmentation du récit, qui font qu'on n'est jamais pris dans la tension d'une seule personne qui subit tout et nous ferait tout ressentir : à chaque chapitre on repart où l'animal précédent s'était arrêté, avec un nouveau narrateur frais et dispo qui ne subira pas toute l'horreur, mais un bout seulement, et n'est que l'intermédiaire des sensations du personnage, dont il nous protège en faisant écran. Je trouve que ça épargne le lecteur, mais est-ce que ça ne l'épargne pas un peu trop ?
.
Le personnage principal n'est pas désagréable, et son humanité nous paraît d'autant plus palpable qu'elle est décrite à chaque scène sous la perception d'un animal différent. Certains d'entre eux sentent parfaitement l'animal blessé en lui, ce qui peut laisser le doute planer habilement quant à son innocence ou non concernant les faits survenus. Mais il ne transperce pas totalement la vitrine derrière laquelle le place la narration, même si nous avons opportunément parfois son propre ressenti lors des dialogues rapportés, et que nous apprenons à l'apprécier à travers les bêtes qui nous le décrivent plus ou moins tendrement. Alors, quand il retrouve le meurtrier et que l'histoire continue quand même, j'ai ressenti une vraie grande lassitude et l'envie de fermer le livre. Vous savez, comme la lecture de Chaos me l'avait fait. Je me suis dit : On sait qui a tué, on sait ce qu'il est devenu, on ne sait pas pourquoi il a choisi cette victime mais visiblement on ne le saura pas et Wahhch a ce qu'il voulait… Alors vers quoi et où repart-on ? Et j'avoue, dans ce moment de décrochage découragé, j'ai lu en diagonale les passages sur les reconstitutions de guerre, qui prouvent encore une fois la folie des hommes, puis cette histoire d'exposition de photo miraculeuse. J'ai vraiment cru en avoir fini avec le plaisir de lecture et cette histoire. J'avais la sensation que l'auteur voulait raconter trop d'histoires en une, traiter trop de sujets (même s'ils sont tous absolument liés), y rajouter trop de symboles. Overdose ?
Pour ne rien arranger, détail mais qui peut avoir son importance : une partie de l'intrigue se déroulant au Canada, les personnages parlent aussi bien anglais que français dans les dialogues. Certes, c'est de l'anglais basique, mais il y en a pas mal alors si vous n'y pipez mot, ce qui n'était heureusement pas mon cas, ça risque de devenir plus ennuyeux.
.
Et puis d'un coup voilà, la fin est de nouveau très bien racontée par le chien, intense mais douce, émouvante, très symbolique. Et je recolle à l'ensemble, les morceaux bougent et se réassemblent pour former un tout plus harmonieux que prévu. Les révélations finales font exploser la bulle dans laquelle nous avait confortablement placés l'auteur et nous achève en nous plongeant dans l'horreur la plus totale. Ames sensibles, vous êtes prévenues.
.
Bref, malgré des coups de mou dans cette lecture, et des péripéties finales qui m'ont parues plutôt hasardeuses sur le moment, je le note relativement bien car, finalement, j'en garde un bon souvenir même si ce n'est pas le coup de coeur que j'attendais à la lecture de mon amie Brooklyn. Il me laisse dans le coeur une infinie tendresse bienfaisante. Merci pour cette jolie découverte que je n'aurais pas faite sans toi, l'histoire d'une quête qui en cache finalement une autre, moins évidente, plus profondément enfouie, mais tout aussi salutaire !
Commenter  J’apprécie          8930



Ont apprécié cette critique (88)voir plus




{* *}