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Critique de motspourmots


Faire une pause dans le contemporain et se plonger le temps de quelques heures dans un grand roman du siècle dernier. Quitter l'immédiateté et la vitesse pour retrouver ce goût de la lenteur qu'affectionnaient les romanciers de la première moitié du XX ème siècle. Apprécier ce goût pour l'étude psychologique, le cheminement de la pensée, le talent de la construction qui installe peu à peu une tension palpable. Les braises est un petit bijou, à la fois témoin d'une époque et fine observation de la nature humaine.

Henri et Conrad ne se sont pas revus depuis plus de quarante-et-un ans. Pendant ce temps, une guerre a balayé l'Europe, une autre est en cours, un empire s'est désagrégé. Cet empire austro-hongrois, c'est ce qui réunissait les deux hommes, malgré des origines très différentes que ce soit d'un point de vue géographique ou social. La famille d'Henri était de l'entourage de l'Empereur, fréquentait le Palais de Schönbrunn tandis que Conrad était d'extraction plus modeste. Enfants puis adolescents, ils furent inséparables, malgré leurs différences. Une amitié indéfectible pensaient-ils... Ce soir de 1941, alors que Conrad annonce sa venue, Henri s'apprête à le recevoir comme s'il s'agissait de vie ou de mort. Que s'est-il passé entre les deux hommes ? Pourquoi Conrad a-t-il pris la fuite, sans un mot d'explication ? Pourquoi Henri vit il quasiment reclus dans son immense propriété ?

Cette soirée de face à face entre les deux hommes possède un pouvoir de fascination très particulier. Henri mène l'entretien avec l'intelligence rusée d'un stratège militaire (il est général retraité de l'armée) et fait peu à peu monter la tension. Sous les yeux du lecteur défilent les derniers jours d'un empire vieillissant et statique tandis que le monde s'agite, que les populations s'émancipent, que les nationalismes gagnent. Henri oscille entre nostalgie et regrets, fidèle à des valeurs de l'ancien temps, conformément à son éducation à la rigidité toute militaire. Conrad apparaît comme beaucoup plus complexe, sensible, artiste, ne vouant pas du tout la même fidélité à ce vieux monde perdu. Néanmoins, c'est bien d'une histoire d'hommes dont il s'agit. Une histoire d'amitié mise à l'épreuve à chaque instant, pour des convictions, pour des modes de vie, pour des comportements et bien sûr, pour une femme.

Pendant quarante ans, Henri a eu tout loisir de réfléchir à cette amitié perdue et c'est le passionnant fruit de ses réflexions qu'il livre à Conrad, espérant enfin connaître la vérité sur sa disparition. Ce qui nous offre des pages magnifiques sur les valeurs accordées à ce sentiment d'amitié, sur le pouvoir autodestructeur des hommes, sur la lutte entre prédestination et auto détermination. Sous les apparences policées d'un face à face au coin du feu entre deux vieillards couvent des sentiments violents, qu'un moindre souffle pourrait embraser.

"Les hommes sont ainsi faits qu'ils agissent comme ils doivent le faire, même si de prime abord, ils savent que leurs actes leur seront néfastes. L'homme et son destin font cause commune. Ils se prêtent serment et se forment l'un l'autre. le destin n'intervient pas aveuglément dans notre vie. Disons plutôt qu'il y pénètre par la porte que nous lui avons ouverte nous-mêmes, en l'invitant poliment à entrer. Car nul être humain ne possède assez de puissance et d'intelligence pour écarter, avec des mots et des actes, le malheur qui résulte de sa nature, de son caractère, suivant des lois impitoyables."

Un livre magistral, un grand classique, sans aucun doute.
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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