AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Acerola13


La force des femmes est un ouvrage du docteur Denis Mukwege, prix nobel de la paix en 2018 pour son engagement contre les violences faites aux femmes en République démocratique du Congo. le sujet n'est certes pas joyeux, mais ô combien important.

La première partie de l'ouvrage est une autobiographie, où l'auteur revient sur sa naissance et ses études, dans le contexte géopolitique de l'époque : colonisation belge ayant pulvérisé les structures tribales, tensions jamais apaisées entre Hutu et Tutsi, accession à l'indépendance et invasions successives de ses voisins. Puis le récit glisse doucement vers l'essai, avec un va et vient continu entre anecdotes biographiques, témoignages et faits de violences faites aux femmes, et propositions pour expliciter et faire évoluer une mentalité où les femmes sont tout autant la propriété des hommes que responsable de leur bonheur et malheurs.

La dimension médicale est également bien présente, avec son lot d'opérations de césariennes, de fistules pour pallier aux monstruosités corporelles infligées au le corps des femmes ; l'auteur ne s'enferme cependant pas dans un tableau où seule l'Afrique serait à mettre au ban des nations pour les droits de la femme : à travers des statistiques et des exemples précis, il montre l'énorme retard des États-Unis sur le plan du nombre de médecins par habitants, du nombre de femmes accouchant dans la précarité, ou encore sur le congé maternité drastiquement réduit.

La force des femmes est passionnant pour quiconque s'intéresse à la situation géopolitique de l'Afrique des grands lacs, car Denis Mukwege ne cède pas à la tentation d'explications vulgarisées et dénuées de leur complexité : il insiste notamment sur l'impact notoire de la guerre civile rwandaise et sur la violence généralisée de la région, le Rwanda ne s'étant pas privé pour exporter le génocide au-delà de ses frontières pour pouvoir piller allègrement et systématiquement les ressources minières de la RDC, avec la bénédiction des autres pays voisins et des élites du pays qui participent à ce dépeçage au détriment des populations locales.

On comprend dès lors mieux le viol en tant que composante préméditée d'une stratégie de guerre et instrument de destruction du tissu social, à l'utilité sans pareille lorsqu'il s'agit de soumettre les populations ou de les déplacer afin de pouvoir exploiter sans gêne une zone riche en ressources.

Denis Mukwege soulève également le problème de la démobilisation des forces armées, et la solution souvent facile de leur incorporation au sein des armées régulières, ce qui a pour conséquence de normaliser des pratiques de milices au sein même des forces de défense d'un pays.

Il souligne aussi - et c'est un des points les plus intéressants de son analyse - la nécessité d'avoir un cadre légal et réglementaire (ce dernier existant en RDC) pour punir les violences faites aux femmes, et surtout de faire appliquer cette loi...On comprend mieux l'importance capitale de la Cour pénale internationale pour se saisir de ces sujets, et s'assurer que ceux qui permettent de telles exactions ne pourront pas se soustraire à leur procès.

Entre anecdotes déchirantes et poignantes, et malgré le vol systématique du gouvernement congolais des prix internationaux gagnés par Denis Mukwege, on se réconcilie en partie avec les interventions de l'ONU et d'autres ONG, sans lesquelles l'hôpital de Panzi n'aurait jamais pu tenir aussi longtemps debout, et l'on se dit que malgré tout, ces aides permettent en certains lieux de soulager des vies brisées. Et l'on ne peut qu'être en admiration totale devant ce docteur qui, envers et contre tout, a dédié sa vie aux femmes sans jamais y renoncer malgré les menaces et les violences qui ne cessent pas et semblent parfois même rivaliser de cruauté.

Chapeau M. Mukwege !
Commenter  J’apprécie          70



Ont apprécié cette critique (6)voir plus




{* *}