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Critique de Sachka


Elvis, John... John, Elvis... se jouent de nous avec une infinie tristesse tout au long de ce roman. Fusionnent leurs âmes chagrines, battent à l'unisson leurs coeurs fatigués de trop d'excès, pareils à l'étoile, qui après avoir brillé si fort à son firmament, se désagrège en poussière. Poussière de corps, poussière de peaux, de cheveux, d'ongles, de rognures, de raclures, le poids d'une vie trop lourde à supporter.
Il m'aura fallu attendre la page 100 pour parvenir à entrer dans ce double récit qui dès les premières pages a provoqué en moi une sensation de malaise tant l'autrice fait mouche en disséquant dans les moindres détails l'état de décrépitude du corps, de l'esprit, le déclin contre lequel on ne saurait lutter, ni vous, ni moi, ni John White, ni Elvis, pauvre Elvis...

C'est bien connu les mythes ne meurent jamais. Nombreux sont les adorateurs d'Elvis qui encore aujourd'hui, plus de quatre décennies après sa mort, sont intimement persuadés qu'il est toujours vivant, quelque part, loin, sur une île déserte ou plus près, à Paris. Il aurait refait sa vie sous une nouvelle identité, il aurait 87 ans. Les rumeurs les plus folles ont circulé après sa mort tragique le 16 août 1977, laissant des milliers de fans éplorés dans le manque de leur idole. Aussi Caroline de Mulder n'a pas hésité à se servir de la rumeur et c'est ce qui fait tout le charme de son roman car après tout qu'est-ce que la rumeur si ce n'est un fantasme, une histoire née de l'imaginaire collectif auxquels chacun est libre de croire ou pas le temps d'un récit de 350 pages.

Avec "Bye Bye Elvis" Caroline de Mulder sauve Elvis de sa fin tragique, elle le ressuscite, elle le libère de ses démons, de Graceland en nous racontant à 17 ans d'intervalle une autre histoire, celle de John White. John White, dont le nom fait curieusement écho au blanc immaculé des tenues de scène d'Elvis. Nous saurons peu de choses sur cet américain excentrique et désargenté, si ce n'est qu'il est vieillissant et en mauvaise santé et qu'il s'est expatrié à Paris pour des raisons qui resteront obscures même pour Yvonne, la douce et fragile Yvonne qui vient de perdre son mari et s'apprête à passer vingt années au service de ce curieux personnage.

En alternant judicieusement les deux récits (Elvis/John White) l'autrice laisse petit à petit apparaître le mimétisme qui existe entre les deux hommes, laissant le doute s'insinuer en nous. Et si Elvis n'était pas mort ce 16 août 1977 dans sa prison dorée de Graceland, toujours entouré d'une foule de personnes mais tellement seul, seul à en crever, fatigué de trop de "pilule mon amour", Dexedrine, Demerol, Dexamyl, discipline, dévouement, dévastateur ?

"Bye Bye Elvis" c'est la vie qui nous trompe, c'est la vie qui s'en va tout doucement sur la pointe des pieds, c'est l'histoire douloureuse mais aussi fabuleuse d'un gamin blanc qui chantait comme un noir et qui malgré lui a décroché la lune pour devenir la star planétaire que nous connaissons tous, une star obsédée par son apparence physique qui s'est brûlée les ailes à force de trop de lumière. "Bye Bye Elvis" c'est l'histoire d'Yvonne qui aura donné vingt ans de sa vie à John White, le pansant, le berçant, lui tenant la main comme à un enfant, l'enfant qu'elle n'aura jamais eu.

L'écriture de Caroline de Mulder est un savant désordre, une cacophonie de mots, crue, lyrique, elle nous gifle, elle nous caresse, nous envoûte tel un sortilège maléfique.
Il faut reconnaître que l'autrice nous dresse un portrait affligeant et sans concession d'Elvis dans l'intimité : toxicomane non repenti aux lubies toutes plus pathétiques les unes que les autres, enfermé dans un système sur lequel il n'avait aucun contrôle si ce n'est obéir aux ordres du Colonel Parker qui en aura fait une bête de scène, une bête de cirque, usée jusqu'à la corde, machine à faire du cash, que la célébrité et la gloire auront rendu complètement mégalo et cassé en mille morceaux.

Un beau roman, douloureux jusqu'à la dernière page qui ne conviendra pas je l'imagine aux fans de l'artiste qui préfèreront garder en tête l'image de la star éternellement jeune et romantique entonnant "Heartbreak Hotel" plutôt que celle du triste sire à Vegas, engoncé dans ses costumes blancs, le visage boursouflé, peinant à se rappeler les paroles de ses chansons.
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