Erectus, tome 2 : L'armée de Darwin

Dieu n'est pas une Loi ni une morale. Pas plus qu'un Esprit Saint qui voltigerait quelque part au-dessus de nous. Si vous voulez une religion, alors écoutez l'air et l'eau, le souffle sur les arbres, regardez le feu et la pierre, et tout ce qui est vivant.

Son oeil bleu foudroyait les médiocres comme les imprécis, mais elle n'avait pas son pareil pour tirer le meilleur parti de ses collaborateurs.

L'être humain est le meilleur coureur d'endurance du monde animal : même les chevaux sont des petits joueurs face à nous.

[...] les hommes avaient esquissé la Terre avec l'inconscience d'enfants gâtés. Ces sept dernières années, les eaux montaient partout, le ciel crachait des particules qui asphyxiaient les mégalopoles; or, ils traitaient les erectus de singe ou de sous-hommes, persuadés d'appartenir à l'espèce suprême.

il avait beau avoir été le premier agent de l'OMS à contempler le patient zéro, plus de sept ans auparavant, l'aspect primitif des erectus continuait à le fasciner : le bourrelet du front, les lèvres charnues rouge sang, l'incroyable puissance des mâchoires prognathes. Chez Wuan, il décelait aussi une inflexibilité palpable, une énergie qui rendait sa présence presque dérangeante.

Elle fixa la cicatrice qui hachait la joue grêlée de son agresseur. Serpent… vicieux… Ce fut sa dernière vision avant d’être happée dans un tourbillon de fureur.
Le feu propagé dans ses veines dilatait les chairs, fouaillait chaque nerf et carbonisait son esprit. Elle tomba sur le sol et commença à convulser, les lèvres retroussées, dévoilant ses dents mouillées de salive écumante. Ses yeux roulaient et son front parut onduler. En se débattant, elle déchira sa chemise, révélant un ventre secoué de tremblements. Sur sa peau, les frissons montaient par vagues, longues et douloureuses.
Elle grognait, à présent, les mains frappant le béton, les yeux révulsés.
Les hommes avaient prudemment reculé et observaient la métamorphose, fascinés. Zhang Jun filmait, comme on le lui avait ordonné. C’était la première fois qu’ils voyaient ça en direct.

Mary avait encore du mal à accepter la métamorphose de son père. Comme Lauryn, la douleur du traumatisme l’empêchait de voir ce qui subsistait chez les régressés. Leur part irréductible d’humanité.
Malgré leur mémoire défaillante, un lien demeurait, aussi léger que l’air, aussi doux que la tendresse ; Kyle n’aurait su l’expliquer avec des mots. Il savait simplement que ça existait.

Nous avons estimé que contenir les erectus dans des réserves revenait à endiguer une marée avec un tas de sable.

Sa voix était posée, presque douce, et jurait avec la teneur de son discours. Il employait un langage châtié.
« Nous sommes l’armée de Darwin. Pour améliorer l’espèce humaine, il faut lui donner un nouveau départ, la soumettre à la sélection naturelle. Les moustiques sont notre arme et notre chance de rédemption. Une possibilité. Certains se réveilleront erectus. D’autres émergeront de cette épreuve en surhommes.
Bientôt, en dépit de la peur et des accidents inévitables, vous serez convaincus.
Nous sommes l’armée de Darwin et nous remettons la Terre dans l’état dans lequel l’homme l’a trouvée.
Nous apurons notre dette.
Nous sommes l’armée de Darwin ».

Les erectus patientaient, accroupis sur une large roche plane qui surplombait une petite cascade. L’endroit était idyllique et d’un calme absolu.
Ils les virent arriver, mais n’esquissèrent pas un mouvement. Quatre hommes et quatre femmes, vêtus de pagnes courts.
Kyle avait l’impression d’évoluer dans un film. Ici, il était l’anomalie. Un sapiens parmi les erectus.
Il leva la main en guise de salut et accrocha un regard.
Wuan.