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Critique de Dandine


Les phrases de Munoz Molina! Difficile de savoir ou prennent elles leur source, d'ou jaillissent elles, d'ou provient cet ecoulement continu qui se taille son lit, avec une endurance tranquille, a travers monts collines et plaines, recevant apres quelques virgules et maints meandres des affluents qui amplifient son nerf et sa puissance, charriant le lecteur, le poncant, le limant, le lustrant, jusqu'a son echouage, essoufle mais ravi, a l'apaise estuaire du point.


Le long des pages, tout ce flux, toute cette eau ondoyante se fixe en chapitres, se solidifie, devient pierres, une s'appuyant sur l'autre pour edifier une batisse de pierres seches, qui fait fi de tout ciment bourratif et finit inscrite par l'Unesco au patrimoine de l'humanite.


Munoz Molina a, en plus d'une prose imagee, rutilante, le chic pour construire un recit qui feint d'egarer le lecteur pour mieux le rattraper au tournant. Ce livre, Beatus ille, se deguise en intrigue tant soit peu policiere pour mieux raconter une ville, une maison, une amitie, un amour, et surtout une epoque. Un roman polyphonique ou presque chaque personnage a le droit de donner son point de vue, de faire avancer l'action selon son bon vouloir. D'epaissir le scenario par ses aveux ou ses affabulations.


Tout commence par le retour d'un jeune etudiant dans sa ville natale (la Magina que Munoz Molina declinera dans plusieurs de ses livres et qui n'est autre que l'Ubeda ou il a grandi) a la recherche d'un poete mort et oublie. A partir de cela le lecteur a droit a une description detaillee de la ville et de ses environs, aux moeurs de ses differentes classes sociales, a leurs demarches, leurs affrontements pendant la guerre civile et la premiere decennie d'apres-guerre. Une terrifiante chronique de gens executes pas pour ce qu'ils avaient fait mais pour ce qu'ils pensaient, ou simplement pour ce que d'autres alleguaient qu'ils pensaient. Il aura droit a l'histoire d'un grand amour, non, de plusieurs grands amours; a l'histoire d'une grande amitie, pas equitablement reciproque mais minee par une certaine jalousie; a de belles circonvolutions sur le fosse des generations, incomprehension et blame d'un cote, revolte de l'autre; Il aura droit a ce que l'auteur, parlant de je ne sais plus quoi, definira comme "un laberinto sabio de figuras trenzadas en la desesperacion y el deseo", "un savant labyrinthe de figures tressees dans le desespoir et le desir".


Beatus ille est un roman complexe, non lineaire, bouleversant la chronologie, ou les multiples narrateurs compliquent chacun d'eux la trame selon son point de vue ou ses manigances, piegeant le lecteur, le malmenant par cercles concentriques en avant et en arriere, jusqu'a une fin qui eclaire le tout.


C'etait le premier roman de Munoz Molina. Pas un coup d'essai, mais tout de suite un coup de maitre. Beatus ille. Heureux celui qui a ce don d'ecriture. Beatus ille. Heureux celui qui le lit.

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