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L'intrigue se situe en Espagne, sous Franco, en 1969. Minaya, jeune étudiant madrilène participe à une manifestation d'étudiants où il est repéré par la police et incarcéré. Pour se faire oublier à sa sortie de prison, Minaya demande l'hospitalité à son oncle Manuel qui demeure dans la ville de Magina, sous le prétexte d'écrire la biographie du poète communiste Jacinto Solana, grand ami de Don Manuel depuis l'enfance, et que ce dernier a hébergé à sa sortie de prison, assassiné par la police franquiste en 1947, et qui avait lui-même entrepris de rédiger ses mémoires sous le titre de « Beatus Ille ».

Toute la trame du récit s'articule autour du mystère de la mort par balle de la belle Mariana Rios au lendemain de ses noces avec Don Manuel et la découverte, par Minaya, de la valise de Jacintho Solana dans laquelle reposent des manuscrits et un petit cahier bleu accompagné d'une douille.

Que s'est-il passé en mai 1947 au cours de la dernière nuit vécue par Marianna, quels sont les évènements qui ont amené à retrouver le corps sans vie de cette jeune femme, abattue d'une balle au milieu du front. Nous sommes du côté des Républicains mais les oppositions avancent masquées. Est ce une balle perdue ou un acte délibéré?
La grande demeure de Don Manuel fait partie des personnages de ce récit. On imagine aisément l'atmosphère de cette majestueuse demeure aristocratique avec son patio, son grand escalier, sa bibliothèque et au dernier étage, les appartements de la mère de Don Manuel, Dona Elvira. Utrera, sculpteur, bénéficie aussi de l'hospitalité de Don Manuel. Cette belle demeure bourdonne de la présence du médecin de famille, Médina et de la visite d'Orlando, peintre, ami de tous.

La ville de Magina participe aussi à l'étrange ambiance du récit, elle qui fut témoin de tous ces évènements dont un lynchage sur la place du Général Orduna. Les pierres comme les fenêtres ont mémorisé les drames et les joies et elles se font, avec la vieille horloge, dépositaires de l'histoire de Magina avec toutes ses indiscrétions.

Hébergé sur les lieux du drame, Minaya, très curieux de ce passé, tente de reconstituer cette énigme en retrouvant et en sollicitant tous les protagonistes de l'époque et c'est là que dès le début de la lecture, les difficultés de compréhension pour le lecteur se font sentir. La période va de 1937 à 1969 et toute l'écriture se compose de conversations directes et indirectes, de rétrospectives, de changement d'interlocuteurs et du narrateur. Il faut une grande capacité de concentration pour les centaines de premières pages mais au fur et à mesure de la lecture, les situations et les enjeux s'éclairent.

Ce n'est pas une enquête ordinaire, c'est beaucoup plus que cela, c'est l'histoire d'un traumatisme jamais vraiment cicatrisé que cette guerre civile espagnole et c'est l'histoire du tragique de l'être humain, de ses passions amoureuses qui finissent mal. « Les histoires amours finissent mal en général » !

Certains passages sont terriblement évocateurs de la répression qui a régné pendant et après cette guerre, des exécutions sommaires et des lynchages.

Antonio Munoz Molina possède une écriture magnétique. C'est bien la première fois que je me retrouve fascinée devant un récit dont le sens m'échappe dès les premières pages. Je suis très sensible à l'esthétique et c'est ce qui a retenu toute mon attention. Ce sentiment de retrouver l'esthétique de Marcel Proust, de longues phrases à savourer, une lecture lente qui s'étire, des portraits, des situations décrites toutes en subtilité. A la différence de Proust qui possède, à mes yeux, une écriture limpide, Molina élabore un récit très complexe, un véritable puzzle, un enchevêtrement de destinées et de sentiments humains qui permet de parvenir à un dénouement inattendu.

Beatus Ille est le premier roman d'Antonio Munoz Molina que je découvre. A présent que je me suis familiarisée avec son écriture, que je me suis glissée dans son écriture, je vais continuer ma découverte de cet auteur peu ordinaire.
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Les phrases de Munoz Molina! Difficile de savoir ou prennent elles leur source, d'ou jaillissent elles, d'ou provient cet ecoulement continu qui se taille son lit, avec une endurance tranquille, a travers monts collines et plaines, recevant apres quelques virgules et maints meandres des affluents qui amplifient son nerf et sa puissance, charriant le lecteur, le poncant, le limant, le lustrant, jusqu'a son echouage, essoufle mais ravi, a l'apaise estuaire du point.


Le long des pages, tout ce flux, toute cette eau ondoyante se fixe en chapitres, se solidifie, devient pierres, une s'appuyant sur l'autre pour edifier une batisse de pierres seches, qui fait fi de tout ciment bourratif et finit inscrite par l'Unesco au patrimoine de l'humanite.


Munoz Molina a, en plus d'une prose imagee, rutilante, le chic pour construire un recit qui feint d'egarer le lecteur pour mieux le rattraper au tournant. Ce livre, Beatus ille, se deguise en intrigue tant soit peu policiere pour mieux raconter une ville, une maison, une amitie, un amour, et surtout une epoque. Un roman polyphonique ou presque chaque personnage a le droit de donner son point de vue, de faire avancer l'action selon son bon vouloir. D'epaissir le scenario par ses aveux ou ses affabulations.


Tout commence par le retour d'un jeune etudiant dans sa ville natale (la Magina que Munoz Molina declinera dans plusieurs de ses livres et qui n'est autre que l'Ubeda ou il a grandi) a la recherche d'un poete mort et oublie. A partir de cela le lecteur a droit a une description detaillee de la ville et de ses environs, aux moeurs de ses differentes classes sociales, a leurs demarches, leurs affrontements pendant la guerre civile et la premiere decennie d'apres-guerre. Une terrifiante chronique de gens executes pas pour ce qu'ils avaient fait mais pour ce qu'ils pensaient, ou simplement pour ce que d'autres alleguaient qu'ils pensaient. Il aura droit a l'histoire d'un grand amour, non, de plusieurs grands amours; a l'histoire d'une grande amitie, pas equitablement reciproque mais minee par une certaine jalousie; a de belles circonvolutions sur le fosse des generations, incomprehension et blame d'un cote, revolte de l'autre; Il aura droit a ce que l'auteur, parlant de je ne sais plus quoi, definira comme "un laberinto sabio de figuras trenzadas en la desesperacion y el deseo", "un savant labyrinthe de figures tressees dans le desespoir et le desir".


Beatus ille est un roman complexe, non lineaire, bouleversant la chronologie, ou les multiples narrateurs compliquent chacun d'eux la trame selon son point de vue ou ses manigances, piegeant le lecteur, le malmenant par cercles concentriques en avant et en arriere, jusqu'a une fin qui eclaire le tout.


C'etait le premier roman de Munoz Molina. Pas un coup d'essai, mais tout de suite un coup de maitre. Beatus ille. Heureux celui qui a ce don d'ecriture. Beatus ille. Heureux celui qui le lit.

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Un livre que je referme en me disant que cet auteur est brillant. Non seulement la construction de ce roman est phénoménale mais Antonio Munoz Molina possède une plume qui me subjugue. Certes, j'ai souffert au début, mais cela n'était que pour me donner un plaisir grandissant au fil des pages. Il est tellement proche de la poésie dans sa forme d'écriture que j'y ai puisé un enivrement, aiguisé plus j'avançais, à m'accrocher pour absorber ce qu'il avait à dire de manière si sensible. Si je puis me permettre un conseil, ne lâcher pas prise après les cent premières pages. Cela en vaut vraiment la peine car on finit par se couler dans cette forme d'écriture très particulière et, sans vraiment comprendre de manière très raisonnée, on sent que l'arrangement interne du roman, sa structure déstabilisante au début, va se révéler et s'épanouir comme une fleur au soleil au fil de la lecture. Progressivement, on s'habitue et les non-dits ou juste suggérés, inconsciemment se mettent en place dans l'histoire que l'on découvre page après page.
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Ils se sont connus sur les bancs de l'école, Manuel fils d'un riche propriétaire, Jacinto fils d'un paysan pauvre. Ils sont restés amis, même quand Jacinto est parti à la capitale et est devenu poète, même quand c'est Manuel qui épouse Mariana, que Jacinto lui avait présentée en 1933.
C'est chez Manuel que Jacinto se cache lors des évènements tragiques de la guerre d'Espagne.
C'est encore chez Manuel qu'il trouve refuge en sortant de prison, 10 ans plus tard.
Et c'est là que se trouvent ses derniers écrits.
Écrits que vient explorer Minaya, neveu de Manuel, à la fin des années 60, sous prétexte d'une thèse.
Mais il va découvrir beaucoup, beaucoup plus que des poèmes.
J'ai eu du mal à entrer dans ce roman ; dès les premières pages on sent que ça va être oppressant. L'écriture est dense, très dense. Et en effet, tout est oppressant dans ce récit, à commencer par la maison, personnage à part entière avec ses pièces innombrables, certaines condamnées, son patio, son pigeonnier maudit.
Tout ici est hanté : par les souvenirs, par les mensonges, par les secrets.
Tout est énigmatique.
Tout est pesant.
Et pourtant, quelle beauté dans ce roman, dans sa densité et sa pesanteur même, dans le tragique de ces destinées humaines brisées par la guerre et la dictature.
Traduction impeccable de Jean-Marie Saint-Lu.
Challenge Solidaire 2023
LC thématique avril 2023 : "Un roman historique"
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Vous avez aimé Dans la Grande Nuit des Temps, vous apprécierez aussi Beatus Ille. On se dit que le style est le même avec des phrases qui n'en finissent plus, des personnages dont les noms Minaya, Mariana, Medina, Manuel, Magina se succèdent, s'enchaînent en sautant d'une époque à une autre (1937, 1947 et 1969) pour perdre en route le lecteur inattentif et négligent.
« Elle a tout doucement fermé la porte et elle est sortie sans faire de bruit, comme lorsqu'on quitte, à minuit, un malade qui vient de s'endormir. J'ai écouté ses pas s'éloigner lentement dans le couloir, redoutant ou désirant qu'elle revienne, au dernier moment, poser sa valise au pied de mon lit et s'y asseoir avec un air de renoncement ou de lassitude, comme si déjà elle rentrait de ce voyage qu'avant ce soir elle n'a jamais pu faire. Les volets ouverts laissent entrer un air de nuit d'été tout proche, une nuit déchirée, au loin, par le sifflet des express qui suivent la livide vallée du Guadalquivir avant de monter la pente qui mène à la gare de Magina où lui, Minaya, l'attend en ce moment, sans même oser espérer qu'(elle)… apparaisse à un bout du quai ».
Triangle amoureux ? Oui, mais pas comme on le croit à la lecture de ces toutes premières lignes dont vous n'aurez la clef qu'après avoir lu le dernier chapitre. Molina raconte tellement bien les amours malheureuses, les amoureux transis qui n'osent pas ou ceux qui osent tout pour finalement tout perdre, les amoureux heureux mais honteux du bonheur qu'ils ont dérobé à l'ami de toujours, qu'on peut penser que c'est le thème principal du roman au même titre que l'amitié...
« Elle m'avait pris par le bras et elle regarda l'objectif quand le photographe nous demanda de sourire, mais Solana était derrière lui…Ce fut exactement à ce moment-là que le photographe déclencha l'appareil. de quelque endroit du cabinet que tu la regardes, elle a l'air de sourire et de te regarder, mais c'est Jacinto Solana qu'elle regarde. »
Et si c'était une enquête policière ?
« Il pouvait les entendre et reconnaître la voix de chacun, parce qu'ils étaient tous dans le cabinet, de l'autre côté de la porte, mais également ici, dans le cahier bleu, dans les dernières pages qu'il commençait à lire, en se demandant lequel d'entre eux, lequel, parmi les vivants ou les morts, avait été, trente-deux ans plus tôt, un assassin. »
Sans avoir l'air d'y toucher, en arrière-plan, il y a bien un mystère enfoui dans le lointain passé qui va se dissiper peu à peu. Lorsque la vérité apparaît enfin, la surprise est totale et soudain tout s'explique. Pas mal pour un roman qui n'est pas un roman policier.
Alors, c'est un roman sur la guerre civile espagnole ?
Elle ne sert que de décor et de prétexte à des événements extraordinaires mais sa condamnation qui met dans le même sac les assassins de gauche et de droite, la folie des discours enflammés enrobés de postures généreuses et la bassesse des foules déchaînées pour lyncher un homme seul est au coeur du roman et de la pensée de l'auteur. Elle y est traitée, de façon assez similaire à Dans la Grande Nuit des Temps, comme une formidable machine à détruire des vies, bien sûr, mais aussi à anéantir les rêves, les aspirations et les talents de tous ceux qui lui survivent. On y croise un héros qui n'en était pas un, qui ne voulait surtout pas en être, mais qui, pour exister et devenir quelqu'un, en prit toutes les apparences et tous les travers. La tentation du repli sur soi, du refus de prendre parti et de participer à la curée est symbolisée et magnifiée par l'homme portant le prénom de Justo (sans doute pas un hasard) dont le sort ressemble à celui du réfugié allemand de la Nuit des Temps. Quant au titre Beatus Ille, il suffit de se remémorer les premiers vers du poème d'Horace pour confirmer le jugement :
Qu'il est heureux (en latin Beatus ille), loin des affaires,
Comme les mortels des premiers âges,
Celui qui travaille les champs de ses pères, avec ses boeufs à lui, libre de tout prêt à usure.
On ne le réveille pas, soldat, au son terrible de la trompette,
Il ne connaît pas l'horreur de la mer démontée,
Et se tient à l'écart du forum et des seuils arrogants des citoyens puissants.

C'est un roman magnifique, déroutant par son style, captivant par son intrigue mystérieuse et sa construction habile et émouvant par les sentiments qu'il dépeint. C'est beaucoup, mais prenons un instant encore pour dire un mot du personnage que constitue la ville où se situe l'intrigue. Derrière Magina, il faut imaginer Ubeda, la petite ville d'Andalousie (classée avec sa voisine de Baeza au Patrimoine Mondial de l'Humanité) où Munoz Molina est né. Pour y avoir passé une journée ensoleillée de fin mai, je ne peux qu'encourager à y faire halte. Outre l'architecture Renaissance italienne à admirer à chaque coin de rue, vous y retrouverez, comme dans le roman, la place du Général-Orduna (dans la réalité la place d'Andalousie) et sa statue du général criblé de balles. Vous y chercherez, dans le centre historique, la maison de l'oncle Manuel où tout ou presque se déroule. Vous descendrez ensuite vers la plaine du Guadalquivir et ses innombrables oliviers pour vous imaginer dans la scène où les fugitifs tentent d'échapper à leurs poursuivants. Lisez ce roman époustouflant, puis, en allant vers Grenade ou en en remontant en direction de Madrid, arrêtez-vous savourer la beauté et le calme d'Ubeda. Vous n'oublierez ainsi ni le roman, ni la ville, ni le plus célèbre de ses écrivains.
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Quelle lecture éprouvante ! Comme Muñoz Molina a malmené mon enthousiasme de lectrice avec ce livre, qui était sa première oeuvre.
Au début, je ne comprenais rien, tout était confus et peut-être que plus attentif que moi, ami lecteur, tu comprendras à la moitié ou aux deux-tiers du livre, peut-être plus tôt encore, là où je n'ai perçu où Muñoz Molina m'avait emmenée que dans les vingt dernières pages.

Alors un seul conseil, allez jusqu'au bout, laissez vous prendre par l'intrigue qui, après les cents premières pages, est devenue plus envoûtante même si comme moi vous errez au début dans le brouillard. Et bien vous en prendra. C'est tout ce que je peux dire. Ou écrire.

Car tel une truffe au chocolat entourée d'une coquille rigide, le moelleux du coeur n'a pas fait oublier le croquant un peu abrupt ou plus fade de la circonférence. Et à nouveau avec cet auteur, ce livre n'aura pas su me faire oublier 'Dans la grande nuit des temps', qui est de loin très supérieur à ceci.
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Beatus Ille
Traduction : Jean-Marie Saint-Lu

Bien qu'il s'ouvre en l'an de grâce 1969, qu'un Gainsbourg, sous d'autres cieux, qualifiait à jamais d'"érotique", "Beatus Ille" est un roman sur la Guerre civile espagnole. Un de plus, soupireront certains, excédés et sûrs de découvrir un énième éloge manichéen de ce conflit particulièrement fratricide, avec les Bons - les Républicains - d'un côté, et les Méchants - les Franquistes - de l'autre. Eh ! bien, non ! Ce n'est pas seulement la construction du roman qui est complexe même si parfaitement maîtrisée : la réflexion qui la soutient l'est encore plus.

Né le 10 janvier 1956, Muñoz Molina n'a pas connu la guerre. Mais il connaît par coeur ses retombées, à savoir la dictature du Caudillo. Une atmosphère étouffante et cruelle contre laquelle se révolte le héros du roman, Minaya, jeune étudiant qui fuit, dès le premier chapitre, la police franquiste lancée à ses trousses car, comme tant de ses contemporains à l'époque mais avec beaucoup moins de chance que la majeure partie d'entre eux (n'est-ce pas, M. Cohn-Bendit ? )le jeune homme est atteint du virus de la contestation. La contestation sous Franco, d'extrême-gauche ou pas, c'est surtout dangereux pour celui qui la porte et Minaya préfère se faire oublier, tout au fond d'une petite ville andalouse où don Manuel, son oncle depuis longtemps perdu de vue, se fait un plaisir de l'accueillir dans sa vaste demeure.

Comme prétexte à son arrivée impromptue après tant d'années, Minaya invoque une thèse qu'il serait en train de consacrer au poète républicain abattu par les Franquistes en 1947, Jacinto Solana. Don Manuel, qui fut l'ami d'enfance de Solana et l'hébergeait encore le jour de son assassinat, ne manque pas d'être sensible au projet et ouvre grand ses portes et ses archives au jeune homme. Derrière les portes, Minaya va découvrir quelques personnages que le passé continue à hanter, de même que les hante le fantôme de Mariana, l'épouse d'un jour de don Manuel, tuée d'une balle en plein front par un tireur inconnu au lendemain même de son mariage. Quant aux archives ... Son oncle les lui a-t-il bien toutes mises à disposition ? ...

Il ne saurait être question d'aller plus loin dans le résumé de l'histoire sous peine de révéler au lecteur la clef de ce drame baroque et pourtant feutré, admirablement mis en valeur par le style riche et poétique de l'auteur. Mais, au-delà du thème central - la résolution, en quelque sorte, d'un secret de famille - c'est l'image, ou plutôt le kaléidoscope d'images tour à tour flamboyantes et ténébreuses laissé derrière elle par la Guerre civile, qui constitue le sujet de "Beatus Ille." le titre même du roman, emprunté au début d'une ode célèbre d'Horace ( "Heureux qui, loin du monde, étranger aux affaires, / Cultive avec ses boeufs, etc ...") est un clin d'oeil ironique, d'une amertume terrible, à ce monde de reflets qui entend exposer la Vérité seule et indivisible et qui, en réalité, ne montre que l'apparence des êtres et des choses quand il ne s'agit pas tout simplement de ce que l'on veut voir soi-même dans ces êtres et ces choses ...

Même si sa sympathie va sans fard aux Républicains, Muñoz Molina rompt ici délibérément avec l'angélisme manichéen qui est en général de rigueur lorsqu'on évoque la Guerre civile espagnole. S'il parle des horreurs commises par les Phalangistes, il évoque également les lynchages perpétrés par les Républicains : dans une guerre, à plus forte raison quand elle est civile, il n'y a plus d'hommes ni de femmes : il n'y a plus que des massacreurs en puissance. Dire qu'il renvoie les deux camps dos à dos serait cependant inexact : sa démonstration tend surtout à démontrer que rien n'était ni intégralement blanc, ni intégralement noir, que la Pitié n'habitait pas à demeure chez les Républicains pas plus que la Cruauté ne s'était installée définitivement chez les Franquistes. La seule chose qu'il ne parvient pas à pardonner à Franco - et que ne lui pardonnèrent pas non plus beaucoup même de ses partisans - c'est l'emploi des régiments arabo-musulmans contre le camp ennemi. En les lâchant sur les villes prises à l'ennemi, c'est l'Espagne tout entière, à nouveau fraternelle, que le Caudillo a trahie. Muñoz Molina le rappelle, avec simplicité mais fermeté.

Avec ses héros qui n'en furent jamais et ses lâches dont l'Enfer est devenu le compagnon journalier, "Beatus Ille" est un grand livre, une méditation à la fois poétique et réaliste mais surtout impartiale sur la Guerre civile espagnole - et c'est aussi un livre que vous ne regretterez pas d'avoir lu. ;o)
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Antonio Munoz Molina m'avait enchantée (le mot est faible) avec Dans la grande nuit des temps, un roman qui restera à jamais parmi mes cinq livres préférés. J'ai donc voulu connaître un autre roman. Beatus Ille est son premier.
Comme dans la grande nuit des temps, il est question de guerre civile espagnole. Il faut dire que Molina est un spécialiste. Mais ce n'est pas le sujet principal et même si on n'y connaît rien, ça passe très bien, mieux que ça même.
C'est une histoire en 3 parties qui se déroule entre 1933 et 1969 et qui commence par la fin ou presque (comme dans l'autre roman). Un narrateur, dont on ne connaîtra le nom qu'à la fin, place les principaux personnages. Au début, on est un peu perdu parmi ces personnages et les époques évoquées, mais rapidement on va connaître les liens qui existent entre eux. L'auteur nous balade dans le temps et nous fait vivre l'histoire de plusieurs points de vue (comme dans l'autre roman). le puzzle prend forme au fil de la lecture.

C'est un livre magnifique, magnifiquement écrit et remarquablement construit, mélangeant sans cesse les époques. L'auteur est capable de parler du passé, du présent et du futur dans une même phrase. Souvent, on évoque ce que les personnages diront ou penseront plus tard de la situation qu'ils sont en train de vivre.
Il y a peu de dialogues, des phrases qui font souvent la moitié d'une page avec beaucoup d'adjectifs pour qualifier au maximum les choses décrites, les comparer à la nature, à des animaux. Les sentiments des personnages, leurs pensées, la ville de Magina, chaque pièce de la maison, les ambiances, les lumières, les arbres, le fleuve, la guerre … tout est parfaitement décrit et rendu.
Certains y verront surtout un livre sur la guerre civile. D'autres y verront plutôt un livre policier avec une enquête pour résoudre un meurtre. Pour moi, la guerre civile est secondaire, juste un « décor », même si elle intervient régulièrement.
C'est un livre sur l'amitié, l'amour, une réflexion sur l'écriture, sur la transmission de la mémoire, d'une histoire personnelle et collective.
Encore un grand livre de ce grand auteur. Peut-être un chouïa au-dessous de la grande nuit. 9 étoiles pour Beatus Ille et 10 pour la grande nuit, si c'était possible d'en mettre autant.
Au suivant !
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