AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Osmanthe


Plutôt qu'un roman, Love and Pop a des airs de longue nouvelle. Ecrit en 1996, il précède de deux ans le formidable et angoissant Miso soup, sur un mode un peu plus léger. le coup d'arrêt brutal, et durable, voire définitif donné à l'extraordinaire essor de l'économie nippone produit ses effets, mais n'explique pas les déviances de la société et la jeunesse en perdition déjà dénoncées par l'auteur dès le milieu des années 1970.

La première partie est assez longue à présenter chacune des filles d'un groupe de quatre amies adolescentes, dont se détache la figure d'Hiromi, non pas forcément par son charisme, mais parce que Murakami l'a choisie pour être le personnage à suivre. le narrateur est assez mouvant, tour à tour l'auteur et la jeune femme. Leur sujet de conversation et de désir est avant même les garçons, les accessoires de mode, si possible de luxe français ou italien. Et pour se les payer, il y a une solution tentante : les rendez-vous arrangés par services de messagerie. Contrairement à certaines de ses copines, qui sont même « allées au bout avec un client », Hiromi n'a pas encore essayé, mais elle a repéré la bague de ses rêves en boutique, et va se décider à se lancer pour réunir la somme.

Dans l'ambiance trépidante des annonces publicitaires et musicales underground des commerces de la gare de Shibuya, une de ses copines lui prête un téléphone qu'elle-même s'était vu prêter par un homme. Parmi les multiples messages de présentation déposés par des hommes de tous âges, Hiromi va en retenir deux, deux rendez-vous successifs avec des types qui vont s'avérer pas très nets, qui se font appeler Uehara et le beau Captain Eo…
Dans le monde de Murakami Ryû, la vie nocturne japonaise est décidément porteuse de danger, tant des détraqués en tous genres, avec leurs névroses, leurs traumatismes psychiques, leur comportement psychotique, leurs obsessions peuvent croiser votre chemin. le hasard fait souvent mal les choses.

Heureusement pour Hiromi, ces deux rencontres lui serviront plutôt de leçon pour l'avenir, d'expérience, avec finalement plus de peur que de mal. Car Murakami trouve le moyen de nous surprendre. Alors qu'il a fait monter l'angoisse et que le lecteur s'attend au pire, il met soudainement sur la table une question morale de nature à bien calmer notre héroïne.

Ce roman, bien qu'un peu en retrait sans doute dans la production de l'auteur, est à nouveau une bonne surprise en ce qu'il prend des allures de fables dénonciatrices de cette folle société de consommation. le style narratif vient servir cette idée de débilité au travers du matraquage publicitaire permanent que les personnages entendent en fond sonore dans ces lieux si fréquentés.

Murakami dénonce la perte de valeurs et de repères de la jeunesse japonaise, et là où Kawabata regrettait la perte d'un monde sur un ton nostalgique et poétique, Murakami quelques décennies plus tard vient passer une seconde lame de rasoir bien plus coupante. Originaire de Sasebo, près de Nagasaki, siège d'une importante base militaire américaine, il dénonce la servilité japonaise au modèle américain et l'appropriation inexorable de ce mode de vie. Derrière l'agacement du personnage masculin lorsque Hiromi lui dit être allée quatre fois à l'étranger, alors qu'en fait à chaque fois, le territoire en question était sous bannière américaine (par exemple l'île de Guam), on devine la plume rageuse d'un Murakami bouillonnant.

Love and pop se lit d'une traite avec un certain plaisir et donne une idée, certes édulcorée et quasi expurgée de scènes violentes, de la tonalité générale des oeuvres de l'autre Murakami, Ryû, qui, s'il semble avoir quasi renoncé à écrire depuis bientôt deux décennies, aura produit une oeuvre noire et détonante, de très grande qualité.
Commenter  J’apprécie          220



Ont apprécié cette critique (21)voir plus




{* *}