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Critique de Iboo


La pédophilie, c'est abject. Nous sommes tous d'accord là-dessus.
De même que, sachant tous que c'est le thème abordé dans Lolita, si on n'est pas prêts à mettre momentanément son aversion en sourdine, autant ne pas ouvrir le livre. A moins, naturellement, que le seul intérêt qu'on y trouve soit de pousser des cris d'orfraie et enfoncer une porte ouverte en martelant que... la pédophilie, c'est abject.

Cela étant, j'avoue avoir ressenti un léger malaise durant la centaine de premières pages. En effet, je ne parvenais pas à m'ôter de l'esprit l'image de Nabokov sexagénaire - dont je venais de suivre une interview sur le Net - et que je collais systématiquement au personnage d'Humbert Humbert.
Afin de corriger cette vision déplaisante, je suis allée quérir sur Youtube des extraits du Lolita d'Adrian Lyne - la meilleure version cinématographique, selon moi - et j'ai pu reprendre ma lecture avec un Humbert Humbert aux traits de Jeremy Irons et à Lolita ceux de Dominique Swain. Brillants interprètes qui m'ont permis d'aborder ce sulfureux roman d'une manière moins dérangeante.

Il est clair que, sous une apparence de gentleman posé, cultivé, courtois mais distant, l'élégant Humbert Humbert est furieusement dérangé. Sa psychologie déviante obscurcit totalement son jugement. Ainsi, aucun adulte, même jeune, n'a grâce à ses yeux : tous laids, stupides, répugnants, méprisables. Seules les très jeunes filles requièrent sont intérêt. Et encore faut-il qu'elles soient jolies, de jolies nymphettes...
Et, au-dessus de cette marée d'insectes insignifiants, surpassant tout et tout le monde, il y a Lolita. Vulnérable et non moins dangereux petit animal écorché que cette ravissante gamine dont les comportements et les attitudes ne sont pas toujours ceux d'une enfant tels qu'on peut les concevoir sur la base de critères conventionnels.
Dès l'instant où il la voit, elle devient son obsession. Une maladive obsession qu'il se persuade être de l'amour. Un amour absolu. Et, même si cela est difficile à admettre vu de l'extérieur, je le pense sincère. Résolument, viscéralement, sincère.

Sans Lolita, Humbert Humbert serait resté un détraqué pathétique, prédateur de nymphettes, en conflit permanent avec ses propres démons. Ce qui l'aurait probablement conduit au suicide ou à toute autre forme d'autodestruction.
Et, sans Humbert Humbert, Lolita aurait eu une adolescence, certes compliquée, mais, sans doute ou peut-être, serait-elle arrivée à l'âge adulte sans trop de meurtrissures pour envisager un avenir plus apaisé.

Seulement voilà, ces deux-là se sont rencontrés et ça a donné un roman qui occupe une place unique dans l'histoire de la littérature du XXe siècle. Qualifié tantôt d'immonde, tantôt de chef-d'oeuvre.

Certes, ce livre est dérangeant, déstabilisant même. Mais il ne faut pas le lire comme la plaidoirie d'un avocat chargé de défendre l'indéfendable.
Nabokov décortique la psychologie d'un monstre et les circonstances de son crime. Son analyse est ciselée. Il n'excuse ni n'accable, il investit un crâne, l'ouvre et nous montre la tumeur, nous explique pourquoi elle est là, comment elle évolue, comment elle ne peut faire autrement qu'évoluer. Et cela même si le porteur est conscient du mal qui le ronge et s'amplifie hors de son contrôle.
Nabokov ne fait pas l'apologie de la pédophilie. Il la dissèque, l'expose et nous laisse à notre réflexion.
Il aurait été, certes, plus facile et mieux accepté par l'opinion générale d'écrire ce roman par la voix de la victime. Mais Nabokov a pris le risque d'aborder le sujet sous un autre angle, celui du bourreau. Il fallait oser, il est sans doute le seul à l'avoir osé sur ce thème. Mais il a eu raison, il avait le talent pour le faire.
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