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Critique de karmax211


"Je n'ai qu'une seule langue, ce n'est pas la mienne" disait Jacques Derrida.
Que j'essaie de m'adresser en français à un Français pour dire ce qu'il y a au fond de mon être sera forcément "traduit" par "l'autre". Car "toute langue est étrangère à celui qui cherche à dire à autrui la chose singulière qui lui est propre".
Ce que confirme Mahmud Nasimi lorsqu'on lui demande "s'il a ressenti, en écrivant, un manque, une inaptitude du français à dire ce que sa seule langue d'origine pouvait exprimer."
Et sa réponse est on ne peut plus claire :
"S'il demeure quelque obscurité dans mon texte, s'il y a quelque chose que je ne serais pas parvenu à transmettre au lecteur, ce sera à cause de ma propre difficulté à dire les choses qui m'habitent et non par la faute de la langue."
Voilà ce qu'il m'a semblé intéressant de signaler en introduction à ce petit billet qui a pour but de dire quelques mots ( qu'importe ou non qu'ils soient en français...) sur le livre d'Ahmoud Nasimi, intitulé - Un Afghan à Paris -.
Cet Afghan, né en 1987 à Jabalsaraj, dans la province de Parwan, a dû fuir son pays, abandonner tout derrière lui, emprunter les routes de la migration, pour fuir... la mort.
N'emporter que ses souvenirs et ses racines arrachées dans l'urgence douloureuse de la survie.
Son exode parsemé de mille obstacles, au sein desquels le guettaient la faim, la soif, la chaleur, le froid, la misère, les humiliations, l'emprisonnement, la torture, les passeurs, la traversée de la Méditerranée à bord d'un petit bateau de pêche haut de 1,50 mètre - quand des vagues tempétueuses s'élevaient, elles, à plus de 5 mètres -, a duré 730 jours...
Son itinéraire est passé par l'Iran, la Turquie, la Grèce, la Macédoine, la Serbie, la Hongrie, l'Autriche, l'Allemagne et la Belgique.
C'est en Belgique où, ne parlant pas un mot de français, il va apprendre à conjuguer ces deux auxiliaires précieux que sont nos verbes "être" et "avoir"...
C'est avec ce seul bagage linguistique qu'il va débarquer à Paris.
Paris où l'attendent, la solitude, la rue, la misère et les tracasseries administratives.
Un jour d'hiver, ses pas - c'est chose connue que les pauvres qui n'ont ni gîte ni couvert, passent leurs journées à marcher, marcher... quelquefois s'asseoir sur un banc... je vous renvoie à la lecture de - le peuple d'en bas de Jack London... un exemple parmi une foultitude d'autres -, ses pas l'entraînent au cimetière du Père Lachaise.
Dans ce lieu où j'ai, personnellement, vécu une expérience mi-mystique... mi-spirituelle, lui le jeune Afghan qui se rêvait homme politique ou général, tombe en arrêt devant le buste De Balzac...
Il prend tout d'abord ce cher Honoré pour une de ces personnalités auxquelles il espérait un jour ressembler.
Il vérifie sur l'Internet de son portable - aux quelques ceux qui tiqueraient en lisant qu'un migrant pauvre possède un portable, je m'empresse de répondre que dans leur détresse, après avoir été dépouillés de tout, on peut consentir, comprendre qu'ils puissent avoir droit à cette petite boussole, à ce fil ténu qui les relie encore au reste de l'humanité sans qu'on convoque illico Renaud Camus pour qu'il nous ponde une thèse sur le Grand remplacement !-... et que lui dit son portable ?
Que Balzac est un homme de lettres français - parmi les plus grands -.
Tournant dans la vie de Mahmoud Nasimi... tournant ou révélation - toujours au sens "mystique" ; lui qui détestait l'école engage un "dialogue" avec ces morts ( nos grands hommes de lettres apparemment disparus ) qui sont plus vivants que les vivants à côté desquels il passe et qui ne le voient pas.
Il va apprendre à les connaître, à les "lire" - en s'aidant de cours et de recherches personnelles -, apprendre grâce à eux à parler le français, à le parler et à l'écrire.
De cette expérience initiatique est né ce petit livre d'une grande tendresse, d'une touchante délicatesse, d'une empathie, d'une compassion salutaires, dignes du plus grand respect et de beaucoup d'admiration (de ma part).
De cette expérience a jailli cet hymne à l'amour de la France et de son patrimoine.
J'ai été touché par toutes les émotions qui traversent ce bouquin, émotions flash-back sur son enfance et sa famille en Afghanistan.
Émotions sur ses expériences vécues en France... dans de nombreuses familles d'accueil, en colocation avec un ami "pessimiste" qu'il surnomme "Glum" - référence à Gulliver -, avec un vieil homme qu'il appelle " grand-père", pour lequel il va éprouver une intense amitié, amitié née d'une rencontre lors d'un hébergement de trois semaines dans une congrégation religieuse.
Émotions lorsqu'il nous parle de Nelufar, la belle jeune femme qu'il devait épouser...
Dans ce texte, Mahmud Nasimi intercale trois ou quatre poèmes.
Ce n'est pas du Baudelaire - le premier poète français dont il a appris par coeur les textes -, non, mais derrière l'apparente simplicité des mots se cache le coeur riche de cet Afghan plus français qu'un Français... en tous les cas plus homme - au sens noble de ce mot - que la plupart de ceux qui peuplent notre prétendue humanité.
En plus de cette déclaration d'amour à la France et à sa langue, ce livre a valeur de déclaration des droits de l'homme pour tout migrant... d'où qu'il vienne.
Une belle leçon de courage, de dignité, de talent et de fraternité en humanité que nous offre cet Afghan à Paris.
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