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Critique de isanne


isanne
25 septembre 2022
J'ai relu ce livre depuis une petite semaine : un livre de ceux que chaque lecteur rêve de croiser dans sa vie, de ceux qui nourrissent l'âme, qui font espérer en l'espèce humaine, qui font regarder l'existence avec d'autres yeux...

Georges Navel né en 1904, écrit là à la fois un récit autobiographique, exprime tout autant une philosophie de vie, raconte le monde ouvrier de ce début de siècle, observe la vie de ceux qui l'entourent.
Son style se veut intime mais tout en retenue, se veut jugement sans amertume, se veut espérance sans illusions.
Il demeure, au fil des phrases, discret sur lui tout en se dévoilant et confessant ce qui l'aide à avancer dans sa vie. La misère est sa compagne mais la liberté l'emporte sur tout regret de possession.


Quand il évoque son père, déjà âgé, confronté aux dures taches des fonderies, qui avance sans se plaindre, et qui trouve réconfort dans le vin bu au café en compagnie de ses compagnons de travail, qui vivent les mêmes tourments que lui, c'est le regard de l'enfant, parfois plein d'incompréhension qui se voile devant tant de détresse et c'est la main maternelle qui encourage ne jugeant point, se voulant appui quand tout se dérobe.

Ce coeur maternel, cette femme toujours à l'ouvrage, toujours gaie, toujours chantante, qui lui donne le goût des jardins et des bois, qui lui fait entendre la mésange ou le crapaud, qui jamais ne se lamente, treize enfants sont nés mais sa volonté de joie dans sa vie est intacte.

Quand il parle de son compagnonnage, c'est au Fred Barthélémy de "La mémoire des vaincus" que l'on songe, celui qui se réalise dans cet art professionnel maîtrisé, cette richesse acquise, qui grandit dans la vie communautaire, qui subit mais finalement subir à plusieurs aide à mieux supporter, quand l'un baisse la tête, c'est l'autre qui encourage...

Quand il évoque le regard de l'enfance sur la vie familiale bousculée par les luttes pour vivre plus décemment, on pense à Louis Guilloux, à ses récits qui redonnent vie à ces âmes dignes, à ces gens de peu qui avancent au prix de sacrifices, plaçant l'honnêteté et la solidarité au rang des premiers engagements, à ces êtres qui cultivent le mot "Liberté" au sens anarchiste du terme...

Il parle de l'Algérie en on pense à Albert Camus, cette douceur du regard, cet humanisme constant, jamais de colère, une dignité de tout moment même quand l'homme est floué. L'Algérie les relie et le même élan vers la nature, celle qui ressource et qui redonne la volonté de repartir, de continuer le chemin, la lutte...

Georges Navel est de ceux que l'enfermement emprisonne, que le toit rend aveugle, que la porte fermée asphyxie : il aspire à trouver besogne au grand air, même si le pain gagné est plus rude , même si le travail y est plus hostile, même si l'exploitation se fait plus criante, au moins ne subit-il pas le bruit des machines des ateliers et la pénombre des jours qui n'en font finalement plus qu'un qui s'étire.

Il y a ceux qui usent de ces hommes, ceux qui les exploitent, ceux qui les affaiblissent un peu plus chaque jour. Georges Navel n'éprouve aucune colère, de l'incompréhension, de la stupeur, mais toujours, sa liberté vaut toute richesse. Il n'a rien mais ne veut davantage.

Il est l'aède de ce monde des "petits", de ceux qui besognent, de ceux qui espèrent en un monde différent, plus juste, plus partagé. Combien en verront l'aube ?


"La providence, écrit Ozanam, met des poètes dans les sociétés qui tombent, comme elle met des nids d'oiseaux dans les ruines pour les consoler"
Georges Navel est bien l'un de ceux-là qui "voient et perçoivent" ce que beaucoup ignorent ou n'appréhendent. Sa flamme le dévore mais son espérance le nourrit. Abattu, mélancolique, il renaît devant le bourgeon qui éclot ou la grive qui fait son nid...
Georges Navel est poète, un homme dont le regard se fait velours sur tous et toute chose, un homme qui apprend à apprivoiser le quotidien dans sa beauté et ses contraintes pour en tisser une existence indigente mais comblée. Lire son écriture, c'est s'émerveiller, réapprendre à ouvrir le regard, à quitter le superficiel pour "pénétrer" toute chose...


Un livre à lire et à relire - et c'est ce que je viens de faire avec un immense plaisir, mon avis de lecture n'en étant que plus long à lire, j'en suis désolée ! - , oserais-je dire une "bible" de la vie acceptée dans tout ce qu'elle signifie de bonheur simple et de félicité ?


(relecture de Septembre 2022)
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